Le ministre québécois des Finances, Raymond Bachand, est furieux contre le Journal de Montréal, et il n'y va pas avec le dos de la cuiller. Il parle d'un reportage qui fait «honte à la profession de journaliste», rien de moins, et a écrit au grand patron de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, pour se plaindre du «dérapage».

Il faut dire que depuis lundi, le journal multiplie les titres vitrioleurs: «Le bluff de Bachand», «Trahi par les chiffres», «On ment aux Québécois», «Les efforts discutables de Bachand», «Nous ne sommes pas dupes, Monsieur le ministre», «Le tenancier de bordel». N'en jetez plus, la cour est pleine.

Mais qu'est-ce donc qui explique un tel acharnement? Quel crime aurait donc commis M. Bachand?

Tout part de son budget de mars.

Personne ne le conteste, les finances publiques québécoises sont dans un profond état de délabrement, et les choses risquent d'empirer si rien n'est fait. En supposant que les dépenses continuent d'augmenter au même rythme qu'au cours des dernières années, le Québec se retrouvera avec un déficit de 12,3 milliards dans quatre ans. C'est proprement intolérable. Le ministre a donc décidé qu'il n'y en aura pas de déficit, dès 2014. Il a donc quatre ans pour trouver 12,3 milliards.

Dans son budget, M. Bachand prévoit qu'il ira chercher 4,3 milliards en taxes, impôts et contributions. Il reste donc 8 milliards. Cet argent, il compte le récupérer en comprimant les dépenses du gouvernement et en accentuant la lutte contre l'évasion fiscale. Cela lui permet donc de dire que le gouvernement fera plus de 60% des efforts pour éliminer le déficit. Tout cela est chiffré noir sur blanc dans les documents budgétaires, de sorte qu'on peut difficilement accuser le ministre de manquer de transparence sur ce point.

Sans aucun doute, il parviendra à puiser ses 4,3 milliards dans les poches des contribuables. En revanche, on peut certainement se demander comment il réussira à récupérer 8 milliards dans la colonne des dépenses, d'autant plus que son budget demeurait vague à souhait sur le sujet.

Dans le huis clos budgétaire, je me souviens très bien de ma première réaction: «On le croira quand on le verra.» Et c'était aussi le sentiment unanime de tous les spécialistes. Dès son dépôt, donc, le budget a provoqué une bonne dose de scepticisme.

Ce que nous disent avec fracas les articles du Journal de Montréal, en se basant sur les critiques d'un comptable à la retraite dont personne n'a entendu parler avant, c'est que le gouvernement «devra retourner à sa planche à dessin s'il veut respecter sa promesse de faire 62% de l'effort pour éliminer le déficit». En fait, selon le Journal, l'effort du gouvernement ne représenterait plus que 45%.

Cette semaine, le ministre et le Journal ont échangé des arguments techniques dont je vous fais grâce, mais fondamentalement, les accusations du journal sont basées sur un aspect du budget.

Le ministre, comme on l'a vu, veut intensifier la lutte contre le travail au noir. Il prévoit récolter ainsi 1,2 milliard, ce qui est hautement ambitieux si on considère les résultats obtenus par ses prédécesseurs à ce chapitre. Ambitieux, mais pas impossible. S'il y parvient, est-ce que cela doit être considéré comme un effort du gouvernement, ou comme un effort des contribuables?

Pour M. Bachand, c'est le gouvernement qui fera l'effort, en augmentant ses pouvoirs de contrôle et d'enquête afin de mieux traquer les entreprises et les particuliers qui fraudent l'impôt. Les honnêtes contribuables qui paient déjà leurs impôts sont complètement à l'abri de cette lutte et n'ont donc rien à craindre.

Pour le Journal de Montréal, ce sont les contribuables qui devront payer. Le travailleur qui cache des revenus au fisc est un fraudeur, certes, mais à partir du moment où il se fait pincer, le gouvernement récolte son dû à même ses poches, ce qui en fait un contribuable comme les autres. En ce sens, ce sont donc les contribuables qui feront le gros de l'effort.

À vous, chers lecteurs, de choisir l'explication qui vous paraît la meilleure. Mais, croyez-le ou non, c'est sur cette divergence d'interprétation que le Journal base sa pluie d'injures. Contrairement à ce que prétend M. Bachand, cela ne fait pas «honte à la profession de journaliste» (on en a vu de bien pires!), mais en traitant cette affaire avec une telle enflure, le Journal de Montréal n'a réussi, au mieux, qu'à donner un grand coup d'épée dans l'eau.