Il ne faudrait pas décapsuler une Tsingtao pour trinquer tout de suite.

Avec la décision de la banque centrale de Chine de laisser sa devise s'apprécier modérément, les exportateurs canadiens n'écouleront pas leurs produits à prix d'aubaine dans l'empire du Milieu.

Et de ce côté-ci du Pacifique, la chaîne Dollarama ne sera pas forcée de relever les prix de ses babioles dès la semaine prochaine. C'est d'ailleurs pourquoi les marchés boursiers ont perdu leur effervescence hier après-midi, comme une bière oubliée sur une terrasse ensoleillée.

Pékin a annoncé sa décision de dégeler le yuan à une semaine de l'ouverture du sommet du G20, samedi prochain. Et le moment choisi est tout sauf accidentel.

Le gouvernement chinois, à qui ses principaux partenaires commerciaux reprochent de maintenir le yuan à un taux artificiellement déprécié, arrive à la grande réception de Toronto avec un cadeau sous le bras. C'est une façon de faire plaisir à ses hôtes. Et de ne plus être l'objet de toutes les récriminations et discussions. Parlons plutôt de la dette des pays soi-disant riches!

La devise chinoise est fixée au dollar américain depuis le début de la crise financière, en 2008. Un billet vert vaut 6,83 yuans et des poussières.

Mais ce gel officieux n'a plus sa raison d'être. L'économie chinoise est si hyperactive qu'elle pousse des pointes de fièvre.

Les exportations chinoises ont bondi de 48,5% en mai comparativement à un an plus tôt. Ainsi, le déficit commercial des États-Unis avec la Chine s'est élevé à 71 milliards US au cours des quatre premiers mois de l'année. Les échanges entre les deux pays sont maintenant aussi déséquilibrés qu'ils l'étaient avant la récession. Et l'orage gronde de plus en plus fort à Washington.

La question est de savoir jusqu'à quel point le gouvernement chinois va laisser le yuan s'apprécier. D'après les prévisions de 33 analystes sondés par l'agence Reuters, le yuan devrait gagner 2,4% d'ici la fin de l'année, à 6,67 yuans par dollar américain. On est donc encore loin de résorber la sous-évaluation chronique du yuan, que les détracteurs de Pékin évaluent entre 25% et 40%.

Ne cherchez pas la réponse du côté de la banque centrale de la Chine. Les analystes étudient ses communiqués laconiques comme les feuilles au fond d'une tasse de thé.

L'économie mondiale se remet de ses émotions, et la reprise de l'économie chinoise est de plus en plus ferme, a noté la banque centrale dans le communiqué émis cette fin de semaine. Mais cette embellie n'annonce pas une «appréciation à grande échelle» du yuan, a-t-elle précisé.

Le passé récent est un indicateur de la suite des choses. Avant la crise financière, le yuan se négociait en fonction d'un panier de devises internationales. De 2005 jusqu'au gel officieux de 2008, le yuan s'est apprécié de 21%.

Une hausse de cet ordre sera difficile à soutenir pour les entreprises exportatrices chinoises. Leurs marges de profit sont aussi minces que des feuilles de riz. C'est d'autant plus vrai que les travailleurs de plusieurs zones manufacturières, mécontents de leurs conditions de travail, poussent les salaires à la hausse. Déjà, certaines entreprises déménagent leurs usines vers des pays à coûts moindres comme le Vietnam.

Ces usines font travailler des millions de travailleurs des campagnes, ce qui maintient le couvercle sur la marmite et assure la stabilité politique du pays. D'où l'extrême prudence de Pékin.

Toutefois, l'économie de la Chine ne se résume plus à l'industrie du jouet ou de la guenille. Elle a atteint, en quelques années, une maturité étonnante. Si des industries manufacturières vont immanquablement souffrir, ce n'est pas le cas des entreprises industrielles plus sophistiquées qui investissent en R&D ou qui utilisent des composantes venues de l'étranger. Ces entreprises paieront leurs composantes moins cher. Et elles pourront maintenir leurs prix pour leurs produits novateurs.

Dans un rapport récent dont faisait état le Wall Street Journal, les économistes du China International Capital Corp. affirmaient même que les industries qui vont profiter de la hausse du yuan sont plus nombreuses que celles qui en pâtiront. C'est le cas de producteurs de papier qui ont des coûts en dollars américains, mais des revenus en yuans.

L'appréciation attendue du yuan servira aussi à mater l'inflation, en abaissant le prix des produits importés (carburants, métaux, céréales). C'est particulièrement vrai du pétrole, dont les hausses de prix se répercutent presque partout.

La hausse des prix à la consommation surpasse la fourchette cible de 1% à 3%. Or, la Chine a déjà serré la vis du crédit bancaire à la fin de 2009 et au début de 2010. La dévaluation timide de la monnaie est une autre façon d'appliquer les freins.

L'appréciation du yuan, d'une portée mesurée, sert parfaitement les intérêts économiques de la Chine. Et ce sacrifice qui n'en est pas réellement un met Pékin dans les bonnes grâces des pays du G20.

Qui dit mieux?

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca