Le sommet du G20 à Toronto fournit une excellente occasion de rappeler tout le chemin parcouru depuis le premier sommet économique de l'histoire, il y a 35 ans, au château de Rambouillet, près de Paris. Il permet aussi de mesurer à quel point le G7, issu de ce premier sommet, est aujourd'hui complètement dépassé par le G20.

En 1975, les États-Unis dominent l'économie de la planète (comme aujourd'hui), mais l'Europe est en pleine construction et le Japon en pleine expansion.

Il a bien sûr existé de tout temps des rencontres ponctuelles entre chefs d'État et de gouvernement. Mais le président français Valéry Giscard d'Estaing, économiste de formation, se disait que l'on pourrait aller plus loin dans cette voie, en réunissant, chaque année et sur une base informelle, les dirigeants des six premières puissances: États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni et Italie.

Ce beau projet aurait facilement pu déraper dès la première rencontre, à Rambouillet. Les États-Unis insistent alors pour que le Canada soit admis comme septième membre du groupe. Ils en font même une condition essentielle pour participer au sommet suivant. Les autres finissent par accepter, et c'est ainsi que le premier ministre Pierre Elliott Trudeau participe à son premier sommet économique en 1976.

Sommet économique surtout de nom. Parce que, avec les années, les sommets du G7 prennent une tournure de plus en plus politique. Les participants profitent de leurs rencontres pour parler des conflits au Proche-Orient, en ex-Yougoslavie ou entre l'Inde et le Pakistan. Ils se penchent, entre autres sujets, sur la famine en Afrique, la calamité de Tchernobyl, le problème des réfugiés, la prolifération des armes nucléaire, l'apartheid, la lutte de Solidarnosc.

Ils parlent, multiplient les déclarations de bonnes intentions, concluent en publiant de beaux communiqués. Au moins, ces sommets ont l'immense mérite de permettre aux dirigeants des plus grands États de la planète de mieux se connaître, ce qui est déjà beaucoup. Cela marche assez bien pendant une vingtaine d'années. En 1997, le G7, bien que représentant plus de la moitié de l'économie mondiale, assiste impuissant à la crise asiatique. À la même époque, le mouvement altermondialiste prend de l'ampleur et commence à cibler les réunions du G7 pour manifester, souvent avec violence. Un manifestant sera même tué au sommet de Gênes, en 2001.

Mais déjà, en 2001, le G7 est dans l'ombre d'une autre organisation, le G20.

Sur le plan de la représentativité, le déséquilibre entre les deux est frappant. Le G7 abrite 11% de la population mondiale, mais compte pour 56% du Produit intérieur brut (PIB) de la planète. Les pays membres du G20 comptent pour 68% de la population et 90% du PIB mondial.

Autrement dit, le G7 (si on exclut la Russie, admise dans le club en 1998 pour des raisons plus politiques qu'économiques) fait figure de club privé réservé aux riches.

En revanche, tous les continents sont représentés au G20: l'Afrique (Afrique du Sud), l'Amérique du Nord (Canada, États-Unis, Mexique), l'Amérique du Sud (Argentine, Brésil), l'Asie (Arabie Saoudite, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Japon, Turquie), l'Europe (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni, Russie, Union européenne), l'Océanie (Australie).

Il est finalement assez facile, pour les membres du G7, de trouver des terrains d'entente. Les sept pays partagent de nombreux intérêts convergents et points communs. Au G20, les discussions sont beaucoup plus animées, les risques de désaccord plus nombreux aussi. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé il y a quelques semaines à Washington, quand les ministres des Finances du G20 n'ont pu s'entendre sur les moyens de mieux encadrer le système financier. Il faut s'y attendre quand vous assoyez à la même table la Chine et les États-Unis, le Japon et l'Arabie Saoudite. En revanche, le G20 permet aux principaux pays émergents de faire valoir des points de vue qui ne seraient sans doute jamais considérés au G7.

L'idée de créer le G20 revient à l'ex-ministre canadien des Finances, Paul Martin.

Je me souviens très bien, dès 1997 (donc, deux ans avant la création du G20), d'une entrevue accordée par le ministre à un groupe de journalistes de La Presse. Pour lui, il était clair que le G7, 20 ans après sa création, ne correspondait plus à la réalité socio-économique du temps. «En 1975, on pouvait négliger la Chine, le Brésil, l'Inde, disait-il. Aujourd'hui, cela n'a pas de bon sens.»

La première réunion du G20 a eu lieu en 1999. Au début, c'était essentiellement une réunion de ministres des Finances et de gouverneurs de banques centrales, accompagnés de leurs hauts fonctionnaires et spécialistes. Dès le départ, le G20 a donc eu un caractère plus technique que le G7. Aujourd'hui, le G20 s'est transformé en véritable sommet de chefs d'État ou de gouvernement.

On peut même commencer à penser que le G20 sera un jour mieux placé que les Nations unies pour régler certains problèmes internationaux. Il possède une solide représentativité, mais ne souffre pas de la lourdeur bureaucratique et des centaines de petits intérêts divergents qui sclérosent le fonctionnement de l'ONU.