Soixante-cinq milliards de dollars! Tel est le montant astronomique que les gouvernements canadiens (Ottawa et les provinces) ont dépensé en trop depuis 10 ans, par rapport à leurs prévisions budgétaires.

Le gouvernement fédéral, à lui seul, a défoncé ses propres prévisions de 22 milliards.

Tel est le bilan que vient de publier l'Institut C.D. Howe, un bureau de recherche économique hautement crédible. La respectable institution parle même, en chiffrant ces résultats, «d'indice Pinocchio».

La méthodologie des auteurs est aussi blindée que facile à comprendre. Pour chacun des 10 exercices financiers entre 1999-2000 et 2008-2009, la recherche relève le montant des prévisions de dépenses, tel qu'inscrit noir sur blanc dans les documents budgétaires du fédéral et de chacune des 10 provinces en début d'exercice. De la même façon, à la fin de chaque exercice, on note le montant réel des dépenses. Il ne reste plus qu'à faire la différence. Le chiffre de 65 milliards ne provient donc pas de quelque spéculation, mais des propres documents budgétaires des administrations publiques.

Au Québec, cette nouvelle risque d'augmenter encore d'un cran le cynisme des citoyens à l'égard de leurs dirigeants politiques, cynisme alimenté en bonne partie par le récent budget du ministre Raymond Bachand.

Pourtant, les ministres québécois des Finances ont été beaucoup plus précis que leurs homologues des autres provinces dans leurs prévisions budgétaires. Pendant la période étudiée, le Québec a connu cinq ministres des Finances, deux péquistes (Bernard Landry et Pauline Marois) et trois libéraux (Yves Séguin, Michel Audet et Monique Jérôme-Forget). M. Bachand a déposé son premier budget il y a six semaines à peine, il ne peut donc pas être inclus dans ce genre d'exercice.

En 10 ans, les dépenses du gouvernement québécois ont dépassé les prévisions de 500 millions. Il s'agit d'un chiffre cumulatif; on parle donc d'une moyenne annuelle de 50 millions.

Ce n'est pratiquement rien quand on compare cela aux 65 milliards observés pour l'ensemble du Canada. C'est encore trois fois rien quand on sait que le budget du gouvernement québécois est de 60 milliards.

Une meilleure façon de mesurer l'écart entre les prévisions et la réalité est de l'exprimer en pourcentage des dépenses. Ainsi, un dépassement de 500 millions, pour le Québec, fait figure de piqûre de maringouin. Le même montant, pour une province comme l'Île-du-Prince-Édouard, serait une véritable catastrophe.

Au Québec, les dépenses réelles dépassent les prévisions d'à peine 1 %. C'est, de très loin, la meilleure performance au Canada. La Nouvelle-Écosse arrive au deuxième rang avec 13 %.

Exception faite du Québec, le fédéral, avec un écart de 9 %, s'en tire mieux que n'importe quelle autre province.

Ce qui est tout à fait remarquable, c'est que le Québec, chaque année sans exception pendant 10 ans, a battu la moyenne des autres provinces et du fédéral. Autrement dit, si on les compare à leurs homologues provinciaux et fédéraux, tous les ministres québécois des Finances, péquistes et libéraux confondus, ont réussi des atterrissages pratiquement parfaits.

À vrai dire, cette nouvelle ne surprend pas tellement ceux qui s'intéressent de près aux finances publiques. Il y a les ministres, il y a aussi les sous-ministres. Or, la compétence et le haut niveau de professionnalisme des hauts fonctionnaires du ministère québécois des Finances sont reconnus depuis longtemps. Presque chaque budget québécois est accompagné de plusieurs annexes portant sur des sujets aussi variés que les transferts fédéraux, la gestion de la dette, le fardeau fiscal et le revenu des Québécois par rapport aux autres provinces. Ces «annexes» sont souvent de véritables études solidement documentées, et la plupart sont lues avec beaucoup d'intérêt à Ottawa et dans les autres capitales provinciales.

Quant aux documents budgétaires eux-mêmes, ils sont de façon générale beaucoup plus clairs et facilement compréhensibles que ceux du fédéral et des autres provinces. Je peux en témoigner : en incluant le budget Bachand, j'ai couvert pas moins de 63 budgets (à peu près autant à Québec qu'à Ottawa, plus quelques-uns en Ontario), et dans le cadre de mon travail, je consulte fréquemment les documents budgétaires des autres provinces.

À l'autre bout de l'échelle, les pires élèves de la classe sont la Saskatchewan et l'Alberta. Les ministres saskatchewanais des Finances ont défoncé leurs prévisions de dépenses de 3,5 milliards, ou 37 % de leurs budgets. En Alberta, les chiffres correspondants sont de 11,4 milliards et 34 %. Il ne faut pas leur jeter la pierre trop rapidement. Les prévisions de dépenses sont évidemment liées aux prévisions de revenus. Or, dans ces deux provinces, les redevances sur les ressources pétrolières et gazières représentent une source importante de recettes budgétaires. Mais ces revenus sont très instables : ces redevances sont basées sur des prix qui fluctuent considérablement. Dans ces conditions, il est beaucoup plus difficile d'être précis dans ses prévisions.