Les taux d'intérêt qui montent pour la sixième fois en sept mois. Un gouvernement qui veut «surtaxer» les entreprises vitales de l'économie. L'Australie ne vit pas au même rythme que le reste du monde.

Si l'on aime les jeux de mots faciles, on dira que le pays down under se plaît d'être à l'envers de tout le monde.

Tandis qu'aux États-Unis, au Canada, en Europe ou au Japon, les banques centrales continuent de maintenir leurs taux d'intérêt au plancher, l'Australie s'est offert, la semaine dernière, une nouvelle hausse du loyer de l'argent.

La sixième depuis octobre 2009.

Avec cet autre tour de vis d'un quart de point, la Reserve Bank of Australia a porté son taux directeur à 4,5%, un sommet en 14 mois. Et ce n'est pas fini: les experts s'attendent à ce qu'il grimpe à 5% ou 5,25% d'ici la fin de 2010.

L'Australie, on en conviendra, est une exception parmi les économies riches.

À preuve: pendant que les Américains consacrent des milliards pour requinquer leur secteur immobilier, les permis de bâtir en Australie ont bondi de 15,3% en mars, a-t-on appris mercredi dernier; sans oublier que les prix des maisons sont en hausse de 20% en moyenne depuis un an (chiffres du premier trimestre).

Autant d'indicateurs démontrant que les Australiens se soucient davantage d'une surchauffe économique que des ennuis économiques et financiers de leurs alliés dans l'hémisphère Nord.

Le coup de main chinois

Peu de pays peuvent en effet se vanter d'avoir enregistré en 2009 une 19e année consécutive de croissance. L'Australie l'a fait et a évité de basculer en récession durant la crise financière, son économie ayant progressé de 0,8% l'an dernier.

Le pays bénéficie en plus d'un système bancaire stable. Le chômage est resté à un taux fort enviable de 5,7%. Et les prévisions font ressortir une croissance prévue de 2,4% pour 2010 et de 3,5% pour 2011.

Certes, de tels chiffres appuient ce que les Britanniques disent de leurs «cousins-d'en-dessous»: l'Australie est une «nation chanceuse» («a lucky country»).

Située aux portes de l'Asie, elle profite de l'appétit de la Chine pour ses matières premières abondantes - fer, charbon et uranium. Malgré l'effondrement du commerce mondial, ses exportations ont été portées par le colossal plan de relance de 700 milliards CAN adopté par Pékin à la fin de 2008.

Le secteur minier australien, surtout, vit un boom sans précédent: le salaire annuel des mineurs, par exemple, dépasse les 100 000$ ces jours-ci, selon des sources de l'industrie.

Mais les Australiens ont aussi du mérite. Ils mènent depuis 10 ans une politique de libéralisation des échanges qui rapporte. Et l'OCDE a récemment vanté les gains de productivité du pays. Sans compter que la gestion des finances publiques fait figure de modèle: la dette nationale comparée au PIB est d'à peine 16% (contre 113% en Grèce...).

Taxe

L'Australie va bien, donc. Et à quelques mois des élections fédérales, le premier ministre Kevin Rudd a tenté un grand coup: il veut faire bénéficier le pays des profits du riche secteur minier.

Son gouvernement entend instaurer une «super taxe» de 40% sur les bénéfices des sociétés minières - projet qui a secoué les investisseurs la semaine dernière.

Grâce à cette manne fiscale, Kevin Rudd promet d'investir dans les infrastructures et surtout dans le financement du système national de retraites. Cette surtaxe, qui s'appliquera aux minerais et aux gisements gaziers, devrait rapporter 8 milliards CAN par an à l'État et entrera en vigueur en 2012, si la proposition est adoptée par le Parlement.

Évidemment, le projet a provoqué une levée de boucliers dans l'industrie minière, qui contribue déjà à 21% des recettes fiscales du pays. Les géants comme BHP Billiton et Rio Tinto préviennent que la nouvelle taxe va réduire l'investissement, privant l'État de recettes importantes.

Or, il est peu probable que Canberra revienne sur sa décision. Car cela fait des années que la population réclame une plus grande part des retombées minières. Et surtout, les préoccupations des autorités sont ailleurs.

L'inflation au pays a presque doublé au premier trimestre, passant de 0,5% à la fin de 2009 à 0,9%. Et avec l'immobilier qui ne dérougit pas, on craint plus une bulle économique que toute autre menace.

Le monde à l'envers, l'Australie? Pendant que l'Europe est violemment secouée par le psychodrame grec, autant dire que les «Aussies» vivent sur une autre planète économique.