Richesses naturelles abondantes, des millions de nouveaux consommateurs, croissance soutenue... le Brésil semble béni des dieux. Du moins, le monde des affaires y croit.

La crise? Quelle crise? Elle n'est certes pas apparente dans les magasins de Rio de Janeiro ou de São Paulo.

En février, les ventes au détail au Brésil ont fait un bond spectaculaire de 12,3% par rapport à la même période l'an passé, a-t-on appris la semaine dernière. De quoi faire rêver nos détaillants en ces temps incertains.

Et on achète de tout: vêtements, électronique... et beaucoup de voitures neuves. Quelque 3,1 millions de véhicules ont été vendus dans ce pays l'an dernier. Et ça continue.

Si bien que sur le grand circuit mondial de l'automobile, le Brésil devrait dépasser l'Allemagne, cette année, pour devenir le quatrième marché en importance pour les ventes de véhicules (3,4 millions contre 3 millions), selon la firme J.D. Power.

Dieu est de notre côté

Avec des indicateurs aussi enviables, on est porté à croire le président Luiz Inacio Lula da Silva, qui s'est exclamé «Dieu est brésilien!» en annonçant en 2007 la découverte du gigantesque gisement pétrolier Tupi (de 5 à 8 milliards de barils), au large des côtes du pays.

Certes, la nature est généreuse avec le Brésil - l'un des seuls pays à pouvoir assurer son indépendance en matière d'eau, de nourriture et d'énergie.

Mais, comme en témoigne l'affluence dans les magasins, le vrai miracle brésilien est probablement ailleurs, soit dans la naissance de millions de nouveaux consommateurs.

Grâce à ses succès économiques, le Brésil a réussi à créer une véritable classe moyenne parmi les 185 millions d'habitants du pays. En 15 ans, elle est passée de 32 à 52% de la population, selon des statistiques officielles.

C'est probablement le fait d'armes de Lula da Silva, dont le deuxième et dernier mandat se termine l'automne prochain. En lançant des mesures sociales à grande échelle, comme la bolsa familia (aide financière conditionnée à la scolarisation des enfants), le président brésilien a sorti de la pauvreté 32 millions de ses concitoyens, selon le Boston Consulting Group. C'est presque autant que toute la population du Canada.

Autant de nouveaux consommateurs qui ont désormais accès au crédit et qui ne demandent qu'à dépenser.

Ruée des étrangers

Pas surprenant, alors, que les réalisations brésiliennes font accourir de nouveaux fidèles venus de partout dans le monde des affaires.

Ainsi, les investissements directs étrangers au Brésil devraient grimper de 47% cette année à 38 milliards de dollars, selon un sondage Bloomberg auprès de 100 économistes. C'est sans compter les 11 milliards que les investisseurs de l'extérieur du pays ont injectés à la Bourse brésilienne l'an passé - un record.

Les étrangers redoublent évidemment d'efforts dans les secteurs liés à la consommation: Carrefour, Sanofi-Aventis, Volkswagen et d'autres multinationales ont récemment annoncé d'importants investissements dans le pays.

Qui dit développement économique dit aussi infrastructures modernes. Or, le Brésil est en manque à ce chapitre.

Faute d'intervention divine, c'est Lula da Silva lui-même qui s'en occupera: son gouvernement vient d'annoncer des investissements de 900 milliards de dollars en grands travaux d'infrastructures, dont la plupart avant les Jeux olympiques qui auront lieu à Rio de 2016. C'est la deuxième étape de l'ambitieux Programme d'accélération de la croissance (PAC), lancé en janvier 2007.

Cet argent servira à la construction de deux millions de logements, de routes, de réseaux d'électricité ainsi qu'à la modernisation des ports et des voies ferrées et à l'urbanisation des favelas. Tout ça, sans toucher la cote de crédit du pays - toujours la meilleure d'Amérique latine.

Inflation

Le Brésil a donc fait des progrès énormes, mais peut-être trop rapides. Désormais, le défi du gouvernement sera de prévenir une surchauffe économique, prévient le président de la banque centrale, Henrique Meirelles.

L'inflation a atteint, sur une base annuelle, 5,2% en mars - ce qui est au-dessus de la cible de 4,5% que visent les autorités. Les Brésiliens doivent donc s'attendre à des hausses de taux d'intérêt pour contenir la croissance, qui devrait frôler les 6% cette année.

Un autre point tracasse les économistes. Bons vivants, les Brésiliens n'épargnent pas. Et quand ils consomment, c'est à crédit.

Le taux de défaillance des emprunteurs est élevé, de l'ordre de 12 à 15%, selon des banques européennes. Pas de quoi encore provoquer une crise. Mais c'est certainement une faiblesse que les dieux de la finance auront à l'oeil.