La surchauffe menace encore le marché immobilier en Chine. Des experts sont convaincus que la bulle va éclater tôt ou tard.

Sur la planète financière, les prophètes de malheur sont légion... ou «10 cennes la douzaine» - traduction libre d'une expression populaire américaine.

Mais lorsque trois figures connues de Wall Street prédisent à tour de rôle l'éclatement inévitable d'une énorme bulle immobilière en Chine, il faut prêter attention à leurs propos.

Le dernier à sonner l'alarme est James Chanos, fondateur du fonds Kynikos Associates et l'un des rares financiers à avoir pressenti l'effondrement d'Enron en 2001.

La Chine est engagée sur une voie qui mène «en enfer», a tonné M. Chanos la semaine dernière. En janvier, il avait quantifié la bulle chinoise de cette façon: «Dubaï, multiplié par 1000.»

Un peu fort? Peut-être. Sauf que ces propos trouvent un écho auprès de deux autres experts: Marc Faber, analyste-éditeur de la lettre financière Gloom, Boom & Doom, qui avait prédit la crise financière américaine, et Kenneth Rogoff, professeur à l'Université Harvard. Tous deux redoutent aussi l'effondrement du marché immobilier chinois dans un avenir plus ou moins éloigné.

+58%

S'il faut se méfier des apôtres de l'apocalypse économique, il reste que l'immobilier en Chine est dans un état de surchauffe inquiétant, croient beaucoup de gens.

Une preuve récente: les prix de l'immobilier résidentiel ont grimpé de 11% durant le seul mois de février, selon les statistiques officielles. La hausse atteint 19% à Pékin, 20% à Shenzen et même 58% à Sanya (île Hainan).

La situation rappelle celle du Japon de 1985 à 1990, affirme Takashi Ito, professeur d'économie à l'Université de Tokyo, dans une étude.

De plus, des analystes ont découvert une grande quantité de «bureaux vides» dans les villes. À Pékin, la firme britannique Savills a mesuré le taux de vacance à 20% en janvier. L'an dernier, l'abondance de nouveaux espaces à Shanghai a poussé le taux de vacance à 16,7% et fait plonger le prix des loyers de 16,3%, selon le groupe DTZ.

Face au dérapage immobilier, Pékin a récemment pris des mesures pour endiguer le crédit bancaire, qui alimente la bulle. Les règles de capitalisation des banques ont notamment été resserrées. Mais cela arrive un peu tard.

Le dérapage des provinces

Des économistes déplorent la dérive des finances des provinces, qui ont injecté des sommes colossales dans leurs infrastructures et dans l'immobilier pour relancer l'économie en 2009.

Sur papier, la situation de l'empire du Milieu est saine, avec un endettement public inférieur à 20% de la richesse nationale. Mais on connaît mal les dettes des gouvernements locaux qui ne sont pas comptabilisées dans le budget national.

Ces autorités régionales, qui n'ont pas le droit d'émettre d'obligations, se financent par l'entremise d'entreprises publiques locales (il y en a plus de 8000), qui empruntent à leur tour auprès de banques. Or, ces fonds régionaux ont pompé des milliards dans des projets immobiliers l'an dernier, souvent sans en souffler mot à Pékin.

Dans une étude, Victor Shih, professeur à l'Université de Northwestern, évalue les dettes réelles des provinces à 1700 milliards US, environ 70% du PIB du pays.

Le scénario redouté est donc le suivant: advenant un ralentissement économique ou une forte hausse des taux d'intérêt, la bulle immobilière pourrait éclater, mettant en péril les finances des provinces et la survie des banques.

L'économiste Shen Minggao, de Citigroup, croit que, dans le pire cas, 20% des prêts des banques régionales seraient irrécupérables.

Pékin à la rescousse

Normalement, la banqueroute de plusieurs banques serait dévastatrice pour une économie nationale. Mais la Chine n'est pas un pays comme les autres.

À la différence du Japon des années 80, il y a une réelle demande pour des habitations en Chine en raison de l'urbanisation, souligne la Banque du Japon dans un rapport.

Et si la bulle immobilière venait à éclater, ce qui est probable, la crise serait de courte durée, compte tenu de la forte croissance de l'économie, ajoute la firme UBS. Enfin, il ne faut pas oublier que le gouvernement central a des moyens énormes.

Comme le rappelle Andy Xie, économiste indépendant établi à Shanghai, les banques chinoises appartiennent à l'État, qui garantit leurs prêts. Et la Chine, qui a accumulé 2400 milliards US de réserves de change, aurait peu de mal à financer les dettes «cachées» des provinces.

Pour se relever de la crise financière, la Chine a certes pris des risques, laissant les provinces distribuer le crédit à tout vent. Une erreur sans doute. Mais le Dragon chinois est costaud et, surtout, il a l'habitude de jouer avec le feu.