Les Allemands exportent beaucoup et consomment peu. Une stratégie gagnante, mais qui repose sur les faiblesses de ses partenaires européens.

L'Europe - la Grèce en tête - traverse une période difficile et, depuis la crise financière, semble la grande perdante au nouveau jeu économique mondial. Or, des joueurs du «Club euro» blâment leur coéquipier le plus gros et le plus riche pour les problèmes de l'équipe.

La France, l'Espagne et divers experts accusent ouvertement l'Allemagne de faire de bonnes affaires dans l'arène internationale sur le dos de ses partenaires.

Le mois dernier, la ministre française de l'Économie a déclenché les hostilités en dénonçant la «stratégie» allemande. «Clairement, l'Allemagne a fait de l'extrêmement bon travail dans les 10 dernières années», a déclaré Christine Lagarde dans un entretien au Financial Times. Mais, «je ne suis pas sûre que le modèle allemand soit viable à long terme et pour l'ensemble du groupe», a-t-elle lancé.

En clair, Paris demande à Berlin de changer son jeu, trop tourné vers les marchés extérieurs.

Export et épargnes

Deux choses, principalement, irritent l'Europe: l'Allemagne exporte beaucoup mais consomme peu.

Les exportations constituent le principal moteur allemand, générant plus de 40% de l'économie. Depuis la chute du mur de Berlin, cette proportion a doublé en permettant à l'Allemagne d'accroître sa part des exportations de la zone euro.

Si l'industrie allemande marque autant de points, c'est essentiellement grâce à deux facteurs: des investissements massifs en technologie et une meilleure flexibilité du marché du travail. Ainsi, les entreprises allemandes peuvent, avec l'accord des syndicats, abaisser les coûts des licenciements ou recourir au chômage partiel. Et les patrons allemands ont réussi un tour de force, soit de contenir les salaires et d'accroître la production.

Si bien que depuis 1999, le coût unitaire de la main-d'oeuvre a baissé d'environ 15% en Allemagne, tandis qu'il a progressé de 3,5% en Grèce, de 10% en Espagne et de 13% en Irlande, selon l'Union européenne.

Par contre, les ménages allemands consomment relativement peu et économisent plus que leurs voisins européens. Par exemple, leurs dépenses n'ont progressé que de 0,3% en 2009 (contre près de 1% en France) et devraient même être en recul cette année, selon des économistes.

Évidemment, cela suscite des frustrations - et une certaine envie - dans le clan européen: alors que l'Allemagne a affiché en 2009 un excédent commercial de 135,8 milliards d'euros, la France a subi un déficit de 54,5 milliards, un peu mieux que le Royaume-Uni (-92,6 milliards). Et ce sont les produits allemands qui ont permis à la zone euro de n'enregistrer que 8,9 milliards de déficit global pour le commerce extérieur.

Bref, l'Allemagne, même si elle a cédé l'an passé à la Chine le titre de premier exportateur mondial, est une machine à exporter. Autrement dit, l'Allemagne est à l'Europe ce que la Chine est au reste du monde.

Jeu risqué

Mais en poursuivant sur cette lancée, l'Allemagne joue un jeu risqué.

D'abord, l'industrie allemande exporte beaucoup aux autres pays européens, où sont toujours ses principaux clients. Elle ne peut se permettre de les appauvrir. Et le secteur financier a beaucoup à perdre si les pays les plus en difficulté de la formation euro devaient crouler sous les dettes.

La semaine dernière, le Fonds monétaire international (FMI) a prévenu que les banques allemandes pourraient subir «des pertes significatives» en raison des prêts qu'elles ont consentis dans la région sud de l'Europe.

Ces prêts accordés en Grèce, au Portugal et en Espagne - trois pays en crise budgétaire - s'élevaient à 331 milliards US au 30 septembre 2009, selon une agence bancaire suisse. C'est 30 milliards de plus que les banques françaises et au moins deux fois les prêts au bilan des banques britanniques.

«La crise financière a exposé les risques systémiques et sérieux» du système bancaire allemand, affirme le FMI, qui a appelé Berlin à en faire plus pour stimuler la consommation domestique. Pour bien faire passer son message, le FMI a révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour l'Allemagne en 2010 et en 2011 - un rappel que les ennuis du reste de l'Europe ne seront pas sans conséquence.

Évidemment, les Allemands n'iront pas détruire tout ce qu'ils ont bâti. Berlin a été très clair à ce sujet. Mais l'Allemagne devra adopter un plan de match plus équilibré. Et si elle doit survivre, l'équipe euro devra aussi en faire plus et offrir un meilleur jeu d'ensemble.