Cette semaine, j'ai reçu un coup de fil fort intéressant de l'ex-premier ministre Bernard Landry, qui fut aussi un des meilleurs ministres des Finances de l'histoire du Québec. Il a été cinglant: il en a plein le dos de ces «négationnistes» (je lui emprunte sa propre expression) qui s'acharnent à minimiser l'importance de la dette publique.

Le Québec est déchiré par un immense débat sur l'importance réelle de la dette publique.

Pour les uns, la dette du gouvernement québécois se compare assez facilement avec celle des autres pays industrialisés. Le gouvernement disposerait donc d'une confortable marge de manoeuvre pour emprunter davantage sans compromettre sa santé financière. Ce point de vue est surtout répandu dans les milieux syndicaux.

Pour les autres, le gouvernement est beaucoup trop endetté. S'il était un pays indépendant, le Québec se classerait d'emblée parmi les plus endettés, et cette hypothèque pèse lourdement sur les générations futures. C'est le point de vue du vérificateur général, c'est aussi celui du ministère québécois des Finances.

Chaque camp appuie ses propos en jonglant avec des concepts alambiqués: dette directe, dette brute, dette nette, passif des régimes de retraite, déficit accumulé, dette contractée sur les marchés, dette totale supportée par le gouvernement, et j'en passe. Il n'est pas toujours facile de s'y retrouver.

Il y a un mois, mon collègue Francis Vailles a publié les grandes lignes d'une étude-choc du ministère des Finances. Le document applique la méthode de calcul utilisée par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour établir les comparaisons internationales. Selon cette approche, la dette publique totale des Québécois (incluant leur part de la dette fédérale) est de 286 milliards de dollars, ou 94% du produit intérieur brut (PIB). Seuls le Japon, l'Italie, la Grèce et l'Islande sont plus mal en point.

Cet article a suscité un déluge de protestations indignées chez ceux qui croient qu'au contraire, la dette du Québec n'est pas un problème important. Pour eux, la dette se situerait plutôt à 129 milliards, ou 43% du PIB. L'écart entre les deux est énorme. Pour M. Landry, il est clair que l'approche du ministère des Finances, en appliquant la méthodologie de l'OCDE, fournit un portrait plus juste de l'endettement public des Québécois, et que cela ne sert à rien de le nier: «le problème est très grave».

À la fin du dernier exercice financier, le 31 mars 2009, la dette brute du gouvernement québécois, incluant la dette directe et le passif des régimes de retraite, se situait à 151 milliards, ou 50% du PIB. Tout le monde s'entend sur ce chiffre.

Pour en arriver au chiffre de 129 milliards, on soustrait les actifs financiers du gouvernement (encaisse, réserves, prêts). Cela nous fournit le montant de la dette nette. Chez tous ceux qui minimisent l'importance de la dette, c'est ce dernier chiffre qui compte. Il faut noter toutefois que la différence entre dette brute et dette nette est loin d'être abyssale.

Or, ce montant de 129 milliards, ou 43% du PIB, fait du Québec, toutes proportions gardées, la plus endettée des provinces canadiennes. Il est suivi, très loin derrière, par la Nouvelle-Écosse (24%), l'Ontario (19%) et Terre-Neuve (18%). Le gouvernement fédéral en est à 29%. Juste là, dans ces quelques chiffres, il y a déjà un énorme problème.

Ce n'est pas tout. Le chiffre de 129 milliards ne tient pas compte de la dette d'Hydro-Québec, des dettes des municipalités, commissions scolaires, hôpitaux et universités, ainsi que la part de la dette fédérale assumée par les Québécois. C'est en additionnant tout cela que le ministère des Finances en arrive à 286 milliards.

En utilisant une méthodologie sensiblement différente, le vérificateur général en arrive à une dette totale de 219 milliards, mais ce montant exclut la part de la dette fédérale d'environ 100 milliards (j'écris «environ» parce que les experts ne s'entendant pas sur le mode de partage de la dette fédérale).

Un mot s'impose sur le dette d'Hydro-Québec (37 milliards). On peut se demander pourquoi le ministère des Finances et le vérificateur général ont choisi de l'inclure dans la dette publique, alors qu'Hydro possède un actif largement supérieur à ce montant. De plus, la dette d'Hydro est entièrement gérée par Hydro; elle ne coûte pas un seul dollar de financement au gouvernement.

En revanche, le gouvernement, en tant qu'unique actionnaire d'Hydro, est également l'ultime responsable de sa dette.

Si vous avez une maison dont la valeur marchande est de 200 000$, avec une hypothèque de 150 000$, votre valeur nette est de 50 000$. Même si vous êtes en excellente situation financière, il faut quand même la payer chaque mois la maudite hypothèque! Dans le cas d'Hydro, vous n'avez rien à payer en tant que contribuable, mais vous assumez une partie de son financement comme consommateur. Au bout du compte, cela vient de la même poche. Le même raisonnement s'applique pour les dettes des municipalités et commissions scolaires.

Même selon les chiffres les plus optimistes des «négationnistes», le Québec est de loin la province la plus endettée au Canada. Si on retient les calculs du ministère des Finances et du vérificateur, la situation est encore bien pire. Dans ces conditions, on peut très bien comprendre l'indignation de l'ex-ministre des Finances: la pire chose à faire est de minorer l'importance de la catastrophe.