Le débat étant émotif, tenons-nous en aux faits. Hydro-Québec aurait été presque invisible au Nouveau-Brunswick. La société d'État québécoise se serait contentée de fournir de l'électricité à Énergie NB, qui aurait conservé ses lignes de transport et de distribution. C'est même Énergie NB qui aurait eu l'odieux de réclamer les hausses de tarifs d'électricité, selon la version remaniée de l'alliance, dévoilée en janvier.

Mais à l'évidence, il n'y a pas moyen de changer l'opinion des Néo-Brunswickois. La province s'est braquée contre l'achat de ses meilleures centrales de production d'électricité par Hydro-Québec. En deux mots, c'est cuit.

Selon un sondage mené en février par la firme Recherche Omnifacts pour le compte de Radio-Canada, 76% des Néo-Brunswickois s'opposaient toujours à une transaction avec Hydro-Québec, même dans sa version remaniée. En fait, la moitié (49%) de la population ne faisait pas la différence entre les deux versions de l'entente, même si la seconde, d'une valeur de 3,2 milliards de dollars, vaut 1,5 milliard de moins.

Samedi dernier, 2000 personnes ont encore manifesté leur opposition à la vente de leur producteur d'électricité devant l'Assemblée législative. Même si les organisateurs en espéraient plus, c'est beaucoup pour Fredericton, population 50 535 habitants.

En fait, la contestation de l'entente avec Hydro-Québec était rendue insoutenable pour le premier ministre Shawn Graham qui, à six mois des élections générales, est au plus bas dans les sondages. Avec un taux d'approbation de 15% en février, Shawn Graham est le premier ministre le plus impopulaire au pays, selon un sondage internet mené par Angus Reid en février auprès de 7000 Canadiens.

Selon la version officielle, Hydro-Québec aurait découvert des squelettes dans le placard d'Énergie NB. En point de presse hier, le premier ministre Jean Charest a fait allusion à un barrage hydroélectrique qui présentait des risques à la sécurité et qui nécessitait, présume-t-on, des réparations coûteuses. C'est ce qui aurait incité Québec à se retirer.

De son côté, Shawn Graham a affirmé qu'Hydro-Québec avait réclamé d'importantes modifications à l'entente de principe. Modifications que le Nouveau-Brunswick a jugées inacceptables.

De toute évidence, ces explications sont boiteuses. Hydro-Québec avait été d'une grande prudence dans cette transaction. La société d'État avait refusé de reprendre la centrale nucléaire Point Lepreau avant que celle-ci ne soit remise à neuf, par exemple. Elle a levé le nez sur les centrales thermiques trop polluantes.

Hydro-Québec était par ailleurs enthousiaste à la perspective de cette acquisition qui, selon ses calculs, devait lui assurer un rendement sur l'avoir de l'ordre de 10%. Dans le contexte, elle aurait pu trouver le moyen d'aplanir cette petite difficulté.

Visiblement, le Québec aplutôt trouvé un bon prétexte pour offrir une porte de sortie honorable à Shawn Graham. Porte par laquelle ce premier ministre libéral s'est rapidement engouffré. D'autant que l'entente de principe entre Hydro-Québec et le Nouveau-Brunswick ne prévoit pas de frais de résiliation.

À la fin, les conséquences financières de cette transaction avortée sont minimes pour le Québec. Hydro-Québec aurait pu accroître ses profits en disposant d'un meilleur accès au marché du nord-est des États-Unis. Ce n'est pas tant qu'elle aurait exporté plus que la société d'État aurait pu choisir le moment le plus propice pour vendre son électricité, lorsque son prix est le plus élevé (de jour, sur semaine). La perte d'une source additionnelle de profits, ce n'est toutefois pas la fin du monde.

En fait, le Québec peut même se consoler. Avec ses tarifs d'électricité industriels qui resteront moins élevés que ceux du Nouveau-Brunswick, la province conserve un avantage concurrentiel pour attirer des entreprises.

Mais on ne peut qu'être déçu de la tournure des événements. Si cette transaction audacieuse s'était concrétisée, Hydro-Québec serait devenu un grand leader du secteur énergétique à l'échelle du continent. Tandis que le Nouveau-Brunswick aurait réduit son endettement de près du tiers tout en matant ses tarifs d'électricité, qui risquent d'augmenter de façon incontrôlée.

Les choses se seraient-elles passées autrement si Shawn Graham n'était pas revenu sur sa promesse électorale de ne pas céder Énergie NB? Si ce premier ministre avait consulté ses concitoyens au lieu de leur présenter l'entente avec Hydro-Québec comme un fait accompli? Et si Hydro-Québec avait mieux mesuré l'attachement des Néo-Brunswickois à leur producteur d'électricité? Bref, si la transaction n'avait pas été aussi mal vendue?

Shawn Graham a fait son mea-culpa hier lors d'un discours prononcé à l'Assemblée législative. «Même si on est convaincu de prendre la bonne décision, ou la seule décision possible, il y a toujours une bonne et une mauvaise façon de procéder, a-t-il dit.

«Les gens ne nous en voulaient pas d'avoir voulu régler la question de l'électricité. Ils nous en voulaient d'avoir tenté de le faire sans avoir mis en place un processus leur permettant de contribuer à la solution», a-t-il poursuivi en parlant d'une «leçon que je n'oublierai jamais».

Mais c'est trop peu, trop tard pour le premier ministre libéral, qui risque la défaite électorale - bien que tout reste possible en politique. Or, les observateurs ne manqueront pas de tirer des leçons du feuilleton Énergie NB.

Si Shawn Graham est défait aux prochaines élections, qui courra le risque de sortir des sentiers battus? Qui osera trouver des solutions inventives aux problèmes criants qui confrontent les gouvernements actuellement? Personne.

Plutôt que de faire preuve d'audace, chacun restera dans la certitude et le confort médiocre de son train-train quotidien. Navrant.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca