Dans le grand ordre des choses, ce n'était pas une grosse affaire. Mais, lorsque la société montréalaise BCE a récemment choisi de confier à des firmes externes la gestion des actions et des obligations de sociétés de son régime de retraite (13 milliards de dollars en tout), supprimant une douzaine de postes chez sa filiale Bimcor, la finance québécoise l'a pris comme un coup de poing au ventre.

L'impartition a beau être une tendance lourde chez les régimes de retraite, cette mauvaise nouvelle, la dernière d'une série, a sapé le moral de Montréal. Vente de la Bourse de Montréal. Déplacement des centres de décisions à Toronto. Et voilà qu'Ottawa va de l'avant avec son projet d'une commission des valeurs mobilières nationale, mettant ainsi la table à une belle chicane de juridiction qui se réglera à la Cour suprême du Canada.

Ne manquerait plus qu'une OPA sur la Banque Nationale du Canada! En effet, la première banque du Québec n'est pas à l'abri d'une offre d'achat non sollicitée depuis la réforme des institutions financières pilotée par Paul Martin en 2000. Et la Nationale ne dispose d'aucun régime de protection des droits des actionnaires (une dragée toxique, si vous préférez) pour se donner plus de temps pour réagir.

La communauté financière de Montréal saura-t-elle renverser son lent et en apparence inexorable déclin? C'était la question que posait ma collègue Stéphanie Grammond, qui signe, dans le dernier numéro de La Presse Affaires Magazine, un grand tour d'horizon de la finance québécoise.

Ce qui frappe à la lecture de ce dossier fouillé, c'est à quel point le gouvernement du Québec a consenti des efforts pour développer le secteur financier. Et à quel point ces efforts sont tombés à plat. Pensons seulement à la présence éphémère de NASDAQ Canada à Montréal, un coup fumant qui s'est évanoui avec le krach des technos.

La Caisse de dépôt et placement du Québec a lamentablement échoué lorsqu'elle a voulu bâtir une industrie québécoise de gestionnaires de fonds, afin que les épargnes des Québécois soient gérées ici plutôt qu'à Toronto et ailleurs.

C'est d'ailleurs le retrait de la Caisse qui a laissé le champ libre à un certain Vincent Lacroix...

Quant aux avantages fiscaux consentis par le Centre financier international (CFI) de Montréal, ils subventionnent en bonne partie du déplacement d'emplois. Vrai, Montréal a convaincu Investissements Standard Life de déménager sa gestion des actions américaines d'Édimbourg à Montréal. Mais, sur les quelque 115 entreprises admises au CFI, les deux tiers viennent du Québec ou d'ailleurs au pays. On y trouve des institutions financières aussi exotiques que la Nationale, la Banque Laurentienne, le Mouvement Desjardins, Jarislowsky Fraser, Van Berkom&Associés, alouette!

Le Québec peut-il encourager son industrie financière autrement qu'en signant de gros chèques ou en se privant de revenus ad vitam aeternam? Oui, justement.

Depuis le début des années 2000, de plus en plus d'investisseurs institutionnels aux États-Unis réservent une petite partie de leur actif sous gestion (jusqu'à 5%) à de jeunes firmes de petite taille, que l'on surnomme gestionnaires émergents. À l'origine, cette décision s'apparentait à une forme de discrimination positive. Une caisse de retraite pouvait ainsi donner à des firmes gérées par des femmes, à des gestionnaires issus d'une minorité visible ou à des firmes de son État la chance de faire leurs preuves, raconte Matthew McCue, rédacteur en chef d'Emerging Manager Monthly, une publication spécialisée établie à New York.

«Ces petites firmes ont beaucoup de difficultés à décrocher des mandats puisqu'elles n'ont pas une feuille de route assez longue ou un actif sous gestion assez important pour prouver aux investisseurs institutionnels qu'elles ont du talent», explique-t-il.

Aujourd'hui, les investisseurs institutionnels y trouvent toutefois leur compte, ajoute-t-il. Ces jeunes gestionnaires qui ont tout à prouver obtiennent des rendements intéressants, voire supérieurs aux firmes établies, selon les recherches menées depuis plusieurs années par la firme Northern Trust. Ainsi, 40% des gestionnaires d'actions américaines classés dans le premier quartile géraient un actif inférieur à 2 milliards US, selon une étude de 2008.

Les petites firmes se tirent aussi mieux d'affaire dans les marchés baissiers. Agiles, elles sont plus promptes à ajuster la composition de leurs portefeuilles.

Voilà pourquoi des caisses de retraite de nombreux États et villes ont confié des mandats à des petites firmes, maintenant sélectionnées par des consultants spécialisés. Californie (Calpers et Calstrs), Illinois, Maryland, Los Angeles, New York...

En revanche, le Canada est resté complètement en marge de cette tendance. «Il n'y a rien qui empêcherait les caisses canadiennes de le faire», note pourtant Robert Brunelle, premier vice-président d'Hexavest, firme montréalaise avec un actif sous gestion de 1,9 milliard de dollars.

Fondée en 2004, Hexavest a été sélectionnée comme gestionnaire émergent par une caisse du Maryland. «Le contrat avait une valeur marginale, mais sans ce premier mandat, jamais nous n'aurions pu percer le marché américain», raconte Robert Brunelle.

Pourquoi les grandes caisses de retraite du Québec n'encouragent-elles pas les jeunes firmes de Montréal et d'ailleurs? Si la Caisse de dépôt et placement du Québec, Investissements PSP et compagnie s'y mettaient, les jeunes firmes pourraient surmonter les barrières à l'entrée élevées de l'industrie financière. Et les diplômés de HEC Montréal, de Concordia ou de l'Université de Sherbrooke trouveraient de grands défis ici sans avoir à s'exiler à New York, à Londres ou à Hong-Kong.

Un remède beau, bon, pas cher pour combattre la grisaille de Montréal.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca