L'ouverture aux investissements étrangers que le gouvernement de Stephen Harper a exprimée dans son discours du Trône, la semaine dernière, n'a pas fini de faire des vagues.

Ses répercussions ne se limitent pas aux télécommunications, mais aussi à la culture, ces deux industries étant souvent imbriquées au Canada au sein des mêmes grandes entreprises.

La requête que le libraire américain Amazon vient de présenter au gouvernement fédéral pour s'implanter au pays l'illustre bien. Dans ce nouvel esprit d'ouverture, les conservateurs seraient maintenant disposés à ce que Amazon établisse un vaste entrepôt et un centre de distribution au nord de la frontière, rapportait hier le quotidien Globe & Mail.

Pareille perspective fait hurler les libraires d'un bout à l'autre du pays, qui y voient une entorse aux règles de propriété étrangère. Selon ces règles, les librairies, des entreprises culturelles, doivent être contrôlées par des intérêts canadiens. Autoriser Amazon à ouvrir un entrepôt reviendrait ainsi à créer un dangereux précédent.

Les appréhensions des libraires sont d'autant plus grandes que les conservateurs ne se gênent pas pour mettre la charrue devant les boeufs. Pensez seulement à la décision récente d'autoriser le lancement du service de téléphonie sans fil Wind Mobile de Globalive, alors que cette entreprise est clairement contrôlée par le groupe égyptien Orascom. Ce faisant, le gouvernement a renversé une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes!

Un pays doit pouvoir protéger son identité en conservant le contrôle de ses industries culturelles. C'est d'autant plus important que le Canada vit à l'ombre d'un géant qui tapisse les écrans de cinéma de la planète de ses films hollywoodiens.

Ici comme ailleurs, toutefois, internet vient brouiller les cartes. Ainsi, Amazon vend déjà des livres au Canada, par l'entremise de sa boutique en ligne amazon.ca. Ce site lancé en 2002 met d'ailleurs en évidence des auteurs canadiens.

Les livres d'Amazon sont actuellement distribués au pays par l'entremise d'une filiale de Postes Canada. À ce compte-là, diront certains, aussi bien créer quelques emplois dans la manutention et la distribution.

La situation actuelle est d'autant plus bancale que certains des plus grands vendeurs de livres au pays, tels que Costco ou Wal-Mart, ne sont pas soumis aux règles de propriété étrangère, du fait qu'ils ne sont pas des libraires à proprement parler.

Clairement, il faut dépoussiérer les lois actuelles pour concilier la protection de la culture avec les nouvelles technologies. Surtout que le livre électronique peut être acheté de partout dans le monde.

En revanche, la propriété à prédominance canadienne de nos entreprises de télécommunications n'a plus sa raison d'être en 2010. Il s'agit d'un anachronisme que les consommateurs canadiens paient chèrement avec un oligopole qui maintient des forfaits de téléphonie sans fil à des prix artificiellement gonflés. Vivement la concurrence!

À l'heure actuelle, les investisseurs étrangers ne peuvent détenir, directement et indirectement par l'entremise d'un holding, plus de 46,7% d'un opérateur en téléphonie ou d'un câblodistributeur. Or, le métier de ces entreprises, résumé à son expression la plus simple, consiste à installer la tuyauterie et à acheminer le contenu. Bien sûr, plusieurs des grandes entreprises de communication au pays sont intégrées, c'est-à-dire qu'elles offrent autant le contenu que le contenant. C'est le cas de Quebecor et de Shaw, entre autres.

Pourquoi protéger un câblodistributeur comme Vidéotron plus qu'un producteur d'aluminium comme Alcan? C'est une absurdité.

Les entreprises sont intégrées? Il suffit de diviser la production culturelle des télécommunications au sein des entreprises, une opération qui tient de la mécanique.

Cela dit, les conservateurs, qui rêvent de faire sauter la limite sur la propriété étrangère dans les télécoms depuis qu'ils ont été portés au pouvoir en 2006 - c'était le dada de l'ancien ministre de l'Industrie Maxime Bernier - ne devraient pas tomber dans le dogmatisme. Ni céder aux pressions des dirigeants de l'industrie. Ce sont eux qui ont le plus à gagner avec l'arrivée d'investisseurs étrangers, grâce à leurs options d'achat d'actions et à leurs parachutes dorés.

Les Canadiens ont tout intérêt à monnayer leur ouverture à l'étranger. Dit autrement, à se montrer patients. En effet, si l'Union européenne a levé les restrictions à la propriété étrangère de ses sociétés de télécommunications, ce n'est pas le cas des États-Unis, principal partenaire commercial du Canada.

Des États ou des entreprises publiques comme Radio-Canada ne peuvent investir dans des opérateurs américains en télécoms, précise Iain Grant, analyste en télécommunications et dirigeant du SeaBoard Group à Montréal. La participation étrangère est par ailleurs limitée à 20% chez les entreprises qui détiennent des licences de diffusion et à 25% chez les sociétés de holding. Bref, les limites à la propriété étrangère des deux pays sont assez semblables.

Dans son rapport publié en juin 2008, le Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence recommande d'assouplir les règles de propriété étrangère dans les télécommunications. Mais selon ce comité mis sur pied par les conservateurs et piloté par Lynton «Red» Wilson, le Canada doit être guidé par le principe de la réciprocité. Pas question de permettre à Verizon de prendre une participation de contrôle dans BCE sans que Rogers puisse avoir la possibilité d'investir dans Comcast, pour prendre un exemple théorique.

Il faudrait être bien naïf ou nono, comme on le dit familièrement, pour céder aux Américains un accès à notre marché que nos bons voisins nous refusent.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca