Hier, dans La Presse Affaires, mon collègue Joël-Denis Bellavance nous apprenait que la caisse de l'assurance emploi accumulera un déficit de 15 milliards au cours des trois prochaines années. Pour cet exercice seulement, le déficit de 6,2 milliards de dollars compte pour 11% du déficit budgétaire fédéral de 56 milliards.

Pour renflouer les coffres de l'assurance emploi, il n'y a qu'un seul moyen: augmenter massivement les cotisations des employeurs et des travailleurs. Cela pourrait coûter jusqu'à 350$ de plus par année à un travailleur salarié.

La nouvelle a de quoi faire bondir d'indignation.

Pendant des années, en fait entre 1992 et 2007, les contributions au programme d'assurance emploi ont été largement supérieures aux prestations, ce qui a permis à Ottawa de dégager d'énormes surplus de 57 milliards en 15 ans.

Et voilà qu'après avoir été obligés de payer en trop pendant toute cette période, les cotisants devront se serrer la ceinture encore une fois!!!

Pour voir comment nous en sommes arrivés là, il serait peut-être utile de faire un brin d'histoire.

Le programme d'assurance chômage a été institué en 1941 et son nom dit bien ce qu'il veut dire. Il s'agissait de fournir des prestations aux travailleurs qui avaient la malchance de perdre leur emploi. Il était financé par le gouvernement fédéral, ainsi que par les cotisations des employeurs et des employés. Avec les années, différentes «bonifications» en ont fait un programme très généreux, au point où on a pu considérer pendant un temps qu'il tenait davantage d'une forme d'aide aux régions défavorisées. Malgré cela, on peut dire que le programme a relativement bien fonctionné pendant une cinquantaine d'années.

En 1990, le ministre des Finances Michael Wilson annonce une réforme de l'assurance chômage (qui sera rebaptisée assurance emploi en 1996). Ottawa cesse de contribuer au programme. Le rôle du gouvernement fédéral consiste désormais à gérer les cotisations des employeurs et des travailleurs.

De plus, la réforme, qui sera amorcée par les conservateurs de Brian Mulroney et poursuivie sous les libéraux de Jean Chrétien, vise aussi à limiter l'accès aux prestations et à augmenter les revenus, c'est-à-dire les cotisations.

Au milieu des années 90, l'assurance-emploi n'avait plus d'«assurance» que le nom. Normalement, dans n'importe quelle police d'assurance, la prime est établie en fonction du risque. C'était d'ailleurs dans cet esprit que le programme a été créé en 1941. Or, la réforme a permis à Ottawa de dégager d'énormes surplus, à coups de 6, 7, 8 milliards par année. Dans son rapport de 2002, la vérificatrice générale Sheila Fraser a sévèrement frotté les oreilles du ministre des Finances Paul Martin, accusant le gouvernement de frôler l'illégalité dans ce dossier.

Mais où donc sont passés tous ces milliards?

Ils ont servi à assainir les finances publiques.

Les cotisations à l'assurance emploi entrent dans la colonne des revenus budgétaires du gouvernement, au même titre que les taxes et les impôts. Et les prestations sont simplement ajoutées aux dépenses. Lorsque les cotisations sont plus élevées que les prestations, la différence est donc automatiquement appliquée à la réduction du déficit.

À partir du moment où Ottawa a atteint l'équilibre budgétaire, en 1997, les surplus de l'assurance emploi ont contribué à gonfler les surplus budgétaires, eux-mêmes canalisés en partie au remboursement de la dette.

À l'époque, le gouvernement Chrétien a bien annoncé des réductions des cotisations, mais pas assez pour renoncer aux excédents de l'assurance emploi. Le gouvernement Harper a décidé de donner un répit aux travailleurs et aux employeurs en gelant les cotisations pour 2009 et 2010.

Ce n'était pas une très bonne décision, puisque c'est ce gel, en privant l'assurance emploi de revenus estimés à plus de 800 millions par année, qui est en partie responsable du déficit. De plus, la récession et les pertes d'emplois qui ont suivi ont gonflé les prestations.

En 2008, la Cour suprême a eu l'occasion de se prononcer sur la question, à la suite d'une plainte syndicale qui accusait Ottawa de détournement de fonds. Le tribunal a rejeté cette prétention, mais a quand même statué que le gouvernement a agi illégalement en 2002, 2003 et 2005. Il s'agit en fait d'une question hautement technique qui porte sur la façon de fixer le taux de cotisation pour les trois années en question, et qui n'a pas grand-chose à voir avec un présumé détournement de fonds.

En fait, Ottawa n'a rien caché dans cette affaire. N'importe qui, à la lecture des documents budgétaires, pouvait facilement voir ce qui se passait. De plus, quand on se rappelle le cul-de-sac financier où se trouvait le gouvernement à l'époque, on peut certainement se consoler en pensant que les surplus ont été utilisés à bon escient.

Ce qui choque, en revanche, c'est la méthode: il est tout à fait exact que, pendant des années, les travailleurs et les employeurs ont versé des milliards en trop. Cela frise l'illégalité, disait Sheila Fraser. Ce n'est peut-être pas un détournement de fonds, puisque la Cour suprême le dit, mais le moins que l'on puisse dire, c'est que ça frise drôlement le détournement de fonds.