On ne saurait sous-estimer l'importance de l'accord commercial qui vient d'être conclu entre le Canada et les États-Unis.

Pour la première fois depuis 1933, c'est-à-dire depuis que le président Franklin D. Roosevelt a fait adopter le premier Buy American Act, une brèche a été ouverte dans cette loi qui est en fait une forteresse protectionniste.

À court terme, les exportateurs canadiens pourront profiter de la manne de l'ambitieux programme de relance du président Obama. À plus long terme, l'accord aura comme effet d'éliminer les entraves au commerce interprovincial.

Rappelons brièvement ce dont il s'agit.

En février 2009, confronté à la crise économique que l'on sait, le président Obama a fait voter l'American Recovery and Reinvestment Act, vaste plan de relance de 787 milliards. Le montant est énorme, et comprend plusieurs volets: les plus importants sont des baisses d'impôts (288 milliards), des dépenses additionnelles en santé et en éducation (239 milliards), une aide financière aux retraités, chômeurs et travailleurs à faibles revenus (83 milliards).

D'autres aspects intéressent davantage les exportateurs canadiens, comme le programme d'efficacité énergétique et surtout, la construction d'infrastructures et de logements neufs. Il y en a en tout pour 155 milliards.

Or, M. Obama a décidé d'assujettir son plan de relance au Buy American Act. Concrètement, cela signifie que le financement de tous les travaux de construction est réservé aux entreprises américaines qui utilisent des produits américains; par exemple, une entreprise américaine qui utiliserait des matériaux de construction produits au Canada n'aurait pas accès aux subventions, et n'aurait donc aucun intérêt à soumissionner. Évidemment, la décision du président américain, largement appuyée par le Congrès, éjecte du marché tous les fournisseurs non américains.

Il va de soi que le Canada a très mal accueilli cela. Le Buy American Act est devenu un irritant majeur dans les relations canado-américaines depuis un an.

Cela peut sembler assez surprenant, mais les Américains, en agissant ainsi, ne contreviennent pas à l'Accord de libre-échange entre les deux pays. Il est prévu que le gouvernement américain conserve le droit de recourir à la loi dans le cas des contrats publics (c'était d'ailleurs une condition posée par les négociateurs américains, à l'époque, pour adhérer au traité).

La nouvelle entente prévoit que les entreprises canadiennes ne seront plus visées par le Buy American Act lorsqu'elles soumissionneront pour des travaux publics dans la vaste majorité des États américains. En revanche, les entreprises américaines obtiennent aussi le droit de soumissionner dans les provinces et les municipalités canadiennes.

Officiellement, le plan de relance prend fin le 17 février, dans moins de deux semaines, mais il reste encore quelque 250 milliards à distribuer, dont le quart pour des travaux publics. D'autre part, il est fortement question de le prolonger, d'autant plus que les derniers chiffres sur le chômage aux États-Unis sont loin d'être encourageants. D'autre part, une fois que les États-Unis acceptent d'exempter le Canada de la loi, on voit mal comment ils pourraient revenir en arrière. C'est du moins l'opinion du premier ministre ontarien, qui parlait déjà, hier, d'un accès «permanent» au marché américain.

Pour les exportateurs canadiens, c'est évidemment une excellente nouvelle. Mais peut-on craindre qu'à partir du moment où les entreprises américaines obtiennent le droit de soumissionner pour des travaux publics au Canada, cela peut menacer les entrepreneurs canadiens? La réponse est oui, mais ce sont les moins performants qui risquent de disparaître. Les administrations publiques qui accorderont des contrats aux entrepreneurs américains le feront parce que ceux-ci présenteront les meilleures soumissions aux meilleurs coûts. Cela a des chances de faire plaisir aux contribuables, particulièrement au Québec où les coûts de construction sont particulièrement élevés.

L'accord aura aussi un effet important sur le commerce interprovincial. Le Canada est un pays très décentralisé et avec le temps, la plupart des provinces en ont profité pour imposer des entraves aux fournisseurs des autres provinces. C'est une forme de protectionnisme qui ne profite à personne, sauf aux entreprises les moins efficaces.

Or, en acceptant d'ouvrir leur marché aux entreprises américaines, les provinces doivent forcément renoncer à leurs politiques d'achat préférentielles; dès lors, il sera plus facile pour une entreprise québécoise de faire affaires en Ontario, et vice-versa.

Enfin et surtout, en soustrayant les entreprises canadiennes à l'emprise du Buy American Act, Washington amorce un virage important. Dans son récent discours sur l'état de l'Union, le président Obama a insisté sur l'importance d'exporter davantage. Mais les Américains ne peuvent penser conquérir les marchés internationaux sans se débarrasser de leurs vieux réflexes protectionnistes. Le nouvel accord est un premier pas en ce sens.