Le XXIe siècle sera chinois. On l'a tellement dit que plus personne n'ose répéter cette phrase de peur de passer pour un cliché sur deux pattes. Mais pour la majorité, la montée en puissance de la Chine - ou le grand retour de ce pays à son ancienne domination, vous diront les sinologues - est restée une abstraction. L'on voyait bien les tours d'acier et de verre futuristes qui poussaient à Shanghai, à Pékin et ailleurs, mais pas la forêt!

Or, depuis quelque temps, cette réalité se concrétise à la vitesse grand V. En 2009, apprenait-on lundi, la Chine est devenue le plus grand marché automobile au monde. Tandis que le reste de la planète se faisait heurter de plein fouet par la récession, les Chinois achetaient 13,6 millions de véhicules, soit 46% de plus qu'en 2008. En fait, jamais depuis la naissance de la vieille Ford T les États-Unis se sont-ils fait déclasser de la sorte.

L'année 2009 a d'ailleurs été marquante à plus d'un égard. La Chine a aussi détrôné l'Allemagne comme premier exportateur mondial, d'après les statistiques compilées par l'Administration générale des douanes. Ainsi, les exportations chinoises ont atteint 1200 milliards de dollars américains, contre 1170 milliards US pour les exportations allemandes.

Et rien n'indique que cette tendance se renversera, alors que la Chine tente de mater une économie qui pourrait progresser à la vitesse galopante de 16% en 2010, selon les prévisionnistes du gouvernement chinois.

Toute cette richesse a fait de la Chine le premier créancier des États-Unis. En octobre dernier, la Chine détenait tout près de 800 milliards US en obligations du gouvernement américain de toutes sortes, révèlent les données les plus récentes du ministère américain du Trésor.

Cette situation n'est pas nouvelle, puisque la Chine a dépassé le Japon à la fin de 2007. Mais, la rapidité avec laquelle ce mouvement s'est fait, entre 2004 et 2009, en laisse plusieurs pantois.

Ce titre s'accompagne d'une influence que la Chine compte bien exercer. Ainsi, on a assisté à un dialogue de sourds, l'été dernier à Washington, lors du dernier sommet qui a réuni les hauts dirigeants de la Chine et des États-Unis, a récemment observé Steven Bavaria, analyste de l'agence de notation de crédit DBRS Canada.

Alors que les autorités américaines en ont à peine fait mention lors de cette rencontre annuelle qui vise à aplanir les différends entre les deux pays, les dirigeants chinois ont exhorté les États-Unis à comprimer leurs dépenses pour abaisser leur déficit budgétaire. Et cela, dans le but de contenir une inflation qui minerait la valeur des investissements américains de la Chine. Dans la presse chinoise, le ton était à la réprimande.

Remarquez bien, ces remarques n'étaient pas aussi cinglantes que lorsque le premier ministre Wen Jiabao a admonesté le premier ministre Stephen Harper lors de sa récente mission, pour avoir boudé la Chine et critiqué son manque de respect des droits de la personne.

L'analyste Steven Bavaria paraît se réjouir de la grande influence de la Chine sur les affaires intérieures américaines. Compte tenu du manque de volonté politique des États-Unis de s'attaquer à leur grave problème d'endettement, juge-t-il, c'est une bonne chose que les Américains aient maintenant les Chinois au-dessus de leurs épaules.

Mais voilà, la Chine n'a pas le triomphe modeste - et les puissances du XXe siècle seraient bien mal placées pour le lui reprocher. Ainsi, la nouvelle influence de la Chine sur la scène internationale change la donne. La dernière conférence sur les changements climatiques de l'ONU, à Copenhague en décembre, était éloquente à cet égard.

La Chine a-t-elle torpillé cette rencontre comme le prétendent Européens et Américains? Cette conférence, rappelons-le, s'est soldée par une simple déclaration politique préparée par un petit groupe de pays derrière des portes closes, et non par un accord formel avec des cibles chiffrées et contraignantes. Pis, aucune date limite n'a été fixée pour concrétiser cette déclaration.

Mais, quand le président des États-Unis se fait snober par le premier ministre de Chine, quand Barack Obama doit forcer la porte et s'inviter dans une rencontre parallèle des pays du BRIC, une chose est toutefois limpide. Ce ne sont plus les États-Unis ou même l'Europe qui déterminent l'ordre du jour.

Qu'est-ce que cela annonce? Des négociations pénibles et ardues pour ceux qui veulent tenter d'infléchir la volonté de la Chine. Ainsi, les grands producteurs de potasse d'Amérique du Nord viennent de se lancer dans un véritable bras de fer avec leur grand client chinois.

Plutôt que de vendre au prix cassé par les producteurs biélorusses (350$US la tonne métrique, fret inclus), les sociétés Potash Corp., Agrium et Mosaic ont décidé de résister. Affirmant qu'ils pourront bientôt compter sur d'autres clients prêts à offrir plus, ces producteurs de fertilisants représentés par le courtier Canpotex, de Vancouver, refusent maintenant d'exporter leur potasse à la Chine.

Qui résistera le plus longtemps? Qui marchera sur son orgueil? Il est trop tôt pour déterminer si ces producteurs remporteront leur pari. Mais ce difficile rapport de force est emblématique de ce nouvel ordre mondial dominé par la Chine.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca