C'est le genre de compliment que l'on réserve généralement aux chroniques nécrologiques, mais comme je souhaite à Pierre Karl Péladeau une très longue vie, je me permets de lui lancer cette petite fleur tout de suite.

Un merci d'être là. Tout bonnement. Sans lui, les affaires en général et les télécommunications en particulier seraient d'un ennui consommé.

Rares sont les PDG qui défendent leur entreprise avec autant de ténacité, voire d'acharnement. Qu'il ait raison, qu'il ait tort ou qu'il défende une demi-vérité qui sied les intérêts commerciaux de Quebecor, Pierre Karl Péladeau est toujours animé par la même fougue. Celle d'un homme qui est convaincu d'être victime d'une injustice, qui est atteint en quelque sorte du complexe de Calimero.

C'est comme si Pierre Karl Péladeau portait toujours des lunettes qui lui font voir le monde tel qu'il devrait être pour Quebecor. Et s'il faut altérer la réalité pour qu'elle se conforme à cette vision, et bien, ainsi soit-il.

Comment comprendre autrement la dernière sortie de Pierre Karl Péladeau sur le «monopole» de RDS sur la télédiffusion des matchs du Canadien de Montréal.

Le grand patron de Quebecor est déçu d'avoir perdu la vente aux enchères du club de hockey et de son amphithéâtre, et on le conçoit aisément. Il n'a pas seulement perdu la mythique équipe, le joujou ultime de tous les petits garçons du Québec.

Le consortium formé par les frères Andrew, Justin et Geoffrey Molson a, à son bord, des intérêts concurrents à ceux de Quebecor dans les télécommunications. Deux actionnaires minoritaires du club, BCE, la société mère de Bell Canada, et Woodbridge, le holding de la famille Thomson, sont actionnaires du Réseau des Sports, RDS pour les habitués.

RDS a succédé à Radio-Canada pour la télédiffusion des matchs de hockey. Et le contrat qui lui accorde cette exclusivité sur la diffusion des matchs de ho-ckey du Canadien n'expire pas avant la fin de la saison 2012-2013.

Quebecor, qui compte lancer sa propre chaîne consacrée au sport, veut casser le contrat de RDS, en arguant qu'il s'agit d'un monopole. Mais le vrai monopole d'une seule chaîne télévisée de sport en langue française n'existe plus. Et cela, depuis que le CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, a convenu il y a un an que les chaînes spécialisées en sports étaient assez bien établies pour survivre à l'arrivée de concurrentes. Ainsi donc, Quebecor et Radio-Canada, qui ont déposé leurs demandes de licences en mai et en octobre, respectivement, ont la quasi-certitude que leurs projets de chaînes spécialisées dans les sports seront approuvés.

Ces chaînes ont toutes besoin de contenu, soit de diffuser des événements sportifs en direct. En effet, les «shows de chaises», comme on appelle les émissions de commentaires dans le jargon de l'industrie, ne suffiront pas à les rentabiliser.

Or, même si tous aiment dire que Montréal est ho-ckey, ce n'est pas le seul sport ou le seul événement sportif qui intéresse les Québécois, contrairement à ce que semble croire Pierre Karl Péladeau. Il y a les Alouettes, les Internationaux de tennis, les Jeux olympiques, le Mondial de soccer, le Rouge & Or, les Carabins, la boxe, et j'en oublie sans doute. Mais, c'est assurément le plus rentable.

Clairement, toutefois, la rivalité entre trois concurrents va faire monter les enchères pour les droits de diffusion du Canadien et des autres équipes ou événements.

Cela dit, BCE et Woodbridge ne sont que les partenaires minoritaires d'un groupe de propriétaires du Canadien qui compte plusieurs autres investisseurs. Aussi, il est un peu présomptueux de penser que les frères Molson, le Fonds de solidarité de la FTQ, Luc Bertrand et Michael Andlauer vont se priver de millions de dollars en profit uniquement par «amitié» pour leurs partenaires BCE et Woodbridge.

Quebecor n'a qu'à offrir plus d'argent pour mettre la main sur ces droits de télédistribution. À défaut de quoi, l'entreprise peut toujours investir dans le rachat d'un club d'expansion et le rapatrier à Québec.

Pierre Karl Péladeau y voit néanmoins un «avantage indu» et «anticoncurrentiel» et menace de déchirer sa chemise autant devant le CRTC que le Bureau de la concurrence! Pourtant, même si les Montréalais aiment croire que le Canadien appartient à chacun de nous, le Tricolore n'est assurément pas un bien public dont la propriété doit être réglementée par le CRTC. Dans le même esprit, faire des profits avec des droits de télédiffusion de matchs de hockey acquis à bas prix, ce n'est pas un droit fondamental.

La sortie de Pierre Karl Péladeau est d'autant plus étonnante que, s'il y a une entreprise qui use de sa position dominante dans les médias au Québec pour tenir ses concurrents à l'écart, c'est bien Quebecor. Sauf en des exceptions rarissimes, TVA met seulement en ondes ses propres artisans ou ceux de ses médias affiliés. Le disquaire Archambault réserve les meilleurs emplacements dans ses boutiques aux artistes de Quebecor. Et tout ce beau monde se retrouve sur les pages couvertures des magazines de Quebecor. Ce n'est pas un commentaire, c'est un constat.

Est-ce de la convergence ou plutôt une promotion croisée débridée? Si Pierre Karl Péladeau s'énerve autant, c'est peut-être qu'il a reconnu le modus operandi de Quebecor. Comme le veut le dicton anglais, «it takes one to know one».

sophie.cousineau@lapresse.ca