Au premier coup d'oeil, les chiffres publiés hier par Statistique Canada ont de quoi faire dresser les cheveux sur la tête.

Au troisième trimestre de 2009, dans l'ensemble de ses échanges avec l'étranger, le Canada accuse un déficit de 13 milliards. C'est un record. Si on ajoute le déficit de 8 milliards au premier trimestre, et de 12 milliards au deuxième, le Canada se trouve dans le rouge de 33 milliards pour les neuf premiers mois de l'année. Et tout indique que le dernier trimestre, dont les résultats seront publiés fin février, feront également état d'un déficit. Tout bien considéré, il est fort possible que le compte courant de 2009 se solde par un déficit oscillant aux alentours de 40 milliards. Si cela se produit, ce sera le pire déficit depuis que l'on a commencé à compiler ce genre de statistiques, en 1926.

Le record annuel précédent, 28 milliards, avait été établi en 1993 (ces 28 milliards, ajustés pour tenir compte de la hausse des prix, valent 38 milliards aujourd'hui).

Le compte courant mesure la différence entre tout l'argent qui entre au Canada et tout l'argent qui en sort. Chaque dollar d'exportation est un dollar qui entre au Canada, chaque dollar d'importation est un dollar qui en sort; la balance commerciale est donc une composante importante du compte courant, mais ce n'est pas la seule. Il faut aussi tenir compte du compte voyages, c'est-à-dire la différence entre ce que les voyageurs canadiens dépensent à l'étranger, et ce que les visiteurs étrangers dépensent au Canada.

Il tient aussi compte des échanges de services (services commerciaux, professionnels, gouvernementaux). Il faut aussi y ajouter un poste très important: les revenus de placement, c'est-à-dire les revenus d'intérêts et de placements qui entrent ou qui sortent du pays, ainsi que les revenus d'entreprises et les dividendes. Enfin, on ajoute les transferts courants, qui comprennent principalement deux postes: les transferts privés (principalement les versements personnels faits par des résidants canadiens à des parents restés dans leur pays d'origine) et les transferts officiels (aide humanitaire, entre autres).

La somme de tout cela, c'est le compte courant. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le compte courant du Canada évolue en montagnes russes depuis quelques années.

À partir du milieu des années 80, on observe des déficits d'une ampleur sans précédent: entre 1986 et 1994, le déficit annuel moyen dépasse les 22 milliards.

La situation connaîtra une volte-face spectaculaire à la fin des années 90; le déficit du compte courant sera graduellement éliminé, puis on assistera à une période de vaches grasses: entre 2000 et 2006, on observe un surplus annuel moyen de 24 milliards. Apprécions l'ampleur du revirement.

Depuis trois ans, c'est le recul, et voici que nous en sommes maintenant rendus à un déficit record.

Pourtant, en dépit des apparences, ce déficit est bien moins inquiétant aujourd'hui qu'en 1993. Il s'agit de deux situations différentes.

En 1993, le mauvais état du compte courant était essentiellement dû à un cul-de-sac financier. À force de créer des déficits, le gouvernement fédéral a fini par accumuler une dette monstrueuse. Ottawa en était rendu, à coups de 30 milliards par année ou plus, à créer de nouveaux déficits, et donc à s'endetter davantage, uniquement pour payer ses intérêts. La situation financière des provinces n'était pas tellement plus brillante. La dette publique canadienne était la plus élevée des pays du G7, après celle de l'Italie. À une différence près: l'épargne italienne était suffisante pour financer l'ensemble des dettes publiques et privées du pays. Au Canada, il n'y avait pas assez d'épargne pour cela, et le pays devenait toujours un peu plus dépendant de ces créanciers étrangers.

L'énorme différence entre les intérêts payés par le Canada à ses créanciers étrangers, et les intérêts perçus par les Canadiens sur leurs prêts à l'étranger, c'est cela qui explique la rapide détérioration du compte courant à l'époque. Tous ceux qui ont vécu cette pénible période se souviennent des sacrifices qu'il a fallu imposer aux contribuables pour sortir les finances publiques du bourbier.

Aujourd'hui, l'énorme déficit du compte courant est essentiellement dû à la détérioration de la balance commerciale. Ce n'est pas une bonne nouvelle, mais nous sommes loin du cul-de-sac de 1993, pour plusieurs raisons. Tôt ou tard (espérons plus tôt que tard), les États-Unis, de loin les principaux clients du Canada, renoueront avec la croissance et la prospérité. Les exportations canadiennes au sud de la frontière, qui se sont effondrées depuis un an, auront alors de bonnes chances de regagner le terrain perdu. D'autre part, la détérioration du solde commercial est aussi due à une hausse des importations, ce qui n'est pas forcément une mauvaise nouvelle: les entreprises continuent d'investir, les consommateurs continuent de consommer, la demande intérieure demeure forte... Enfin, le Canada multiplie les démarches pour augmenter sa présence sur les autres marchés, particulièrement en Europe.