Les choses ne devaient pas se passer ainsi. Le service de la recherche de la Banque Toronto-Dominion avait même parié que l'économie du Québec s'en tirerait sans trop de mal cette année grâce à son industrie aérospatiale.

Avec un carnet de commandes qui s'est rempli en 2007 et en 2008, l'industrie québécoise devait continuer sur son erre d'aller, jusqu'à la fin de l'année. Sauf que cet élan s'est brisé. Les uns après les autres, les grands donneurs d'ordre du Québec annoncent compressions sur restructurations.

Les mises à pied annoncées chez Bombardier Aéronautique hier portent à plus de 2450 le nombre de salariés renvoyés depuis le début de l'année dans ses seules usines de la région de Montréal. Le fabricant de simulateurs CAE a remercié lui 600 employés à Saint-Laurent. Le motoriste Pratt & Whitney Canada a licencié 500 salariés à Longueuil. Quant à l'effectif de Bell Helicopter Textron Canada, un fabricant établi à Mirabel, il accuse une baisse d'environ 250 travailleurs après avoir joué au yoyo toute l'année.

En simple, c'est la misère. Et la situation n'est pas plus rose chez les sous-traitants de cette industrie qui s'appuie sur 215 PME, même si on n'entend peu parler de ces entreprises à capital fermé.

Dépendante du transport aérien, l'industrie aérospatiale vient de toucher le fond. Des profondeurs qu'elle n'avait même pas explorées à la suite des attentats du 11 septembre 2001, s'il faut en croire Giovanni Bisignani, directeur général de l'Association internationale du transport aérien (IATA). Ainsi, en 2008 et en 2009, l'IATA s'attend à ce que les transporteurs perdent la faramineuse somme de 27,8 milliards US!

Il faudra des années avant que les transporteurs - et leurs fournisseurs - s'en remettent. Ces cycles économiques accentués sont toutefois familiers à l'industrie aérospatiale, habituée à une succession de krachs et de booms.

L'industrie québécoise voudrait néanmoins croire que, comme par les ralentissements passés, elle se rétablira complètement. Bref, ce n'est qu'un mauvais moment à passer et il ne faut pas trop s'en faire. Mais, si les problèmes de l'industrie n'étaient pas que cycliques?

Montréal reste, pour l'heure, le troisième pôle en aérospatiale après Seattle et Toulouse. Et cela, même si le Canada vient de glisser au cinquième rang des industries aérospatiales, derrière les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne.

Toutefois, les investissements relativement peu élevés du Canada en recherche et en développement n'annoncent pas des lendemains heureux, déplorait récemment Claude Lajeunesse, président de l'Association des industries aérospatiales du Canada.

Pour assurer son avenir, il faut donc espérer que l'industrie québécoise perce les marchés les plus prometteurs, grâce aux produits les plus recherchés. Par exemple, les avions turbopropulsés de Bombardier, moins gourmands en carburants, ont la cote. Toutefois, ces appareils de série Q400 sont assemblés en banlieue de Toronto. En revanche, ils sont équipés de moteurs de Pratt & Whitney Canada.

À l'heure actuelle, le Québec fonde beaucoup d'espoirs sur la CSeries, la nouvelle famille d'avions long-courriers de 110 et de 130 sièges de Bombardier. Or, le prétendu enthousiasme que suscitent ces avions, qui ont été lancés bien avant que la récession ne se déclare, ne s'est toujours pas traduit par des commandes fermes. La CSeries ne compte que deux clients qui ont réservé 50 appareils au total. L'un de ceux-ci, le transporteur allemand Lufthansa, semble d'ailleurs beaucoup moins pressé d'en prendre livraison.

Par ailleurs, le développement de cette gamme d'appareils, qui se fait en collaboration avec la Chine, n'a pas tenu ses promesses, du moins pour l'instant. Même si Bombardier a donné de l'ouvrage à la Shenyang Aircraft Corporation, un sous-traitant dans le nord-est de la Chine, ces contrats ne lui ont pas encore ouvert les portes de l'empire du Milieu. Pékin ne cache pas son ambition de développer son industrie aérospatiale, source de fierté nationale. Ce gouvernement a ainsi exigé des transporteurs chinois qu'ils suspendent leurs achats d'avions assemblés à l'étranger.

L'industrie aérospatiale du Québec suit aussi avec beaucoup d'attention les changements qui s'opèrent dans l'industrie de l'aviation. Des deux côtés de l'Atlantique, les compagnies aériennes se consolident afin d'atténuer leurs pertes. British Airways se fusionne avec Iberia, tandis que Delta s'est marié à Northwest Airlines, entre autres.

Résultat: l'industrie se divisera dorénavant entre quelques transporteurs géants d'une part, et une kyrielle de petits transporteurs régionaux ou à rabais d'autre part. La concentration des achats chez un plus petit nombre de géants va changer le rapport de forces entre les transporteurs et les avionneurs qui leur vendent des appareils.

Deux modèles d'affaires se confrontent aussi avec les nouveaux appareils proposés par Airbus et Boeing. Le A380 d'Airbus, le géant des airs, favorise le maintien d'un aéroport plaque tournante nourri par des appareils régionaux, l'une des forces du Québec. En revanche, les nouveaux avions long-courriers 787 proposés par Boeing favorisent les liaisons directes. Cela dit, Boeing compte de nombreux fournisseurs au Québec.

Que se passera-t-il, par ailleurs, si le prix du pétrole s'enflamme de nouveau? Est-ce que les voyages par avion deviendront inaccessibles, comme le prévoit l'économiste Jeffrey Rubin? Est-ce que les voyageurs, plus soucieux de leur empreinte écologique, vont reconsidérer leur relation avec la distance, comme se demande Isabelle Dostaler, professeur de stratégie à l'école de gestion John Molson de l'Université Concordia?

Que l'on adhère ou non à ces visions de l'avenir, une chose est claire. Il serait un peu pas mal hasardeux de présumer que l'industrie aérospatiale du Québec rebondira parce qu'elle l'a toujours fait dans le passé. Le ciel est drôlement changeant.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca