Champion mondial de la dette publique, le Japon est aussi le pays qui emprunte au plus faible coût. Une situation intenable. Et un monstre qui devrait effrayer tout le monde.

La crise financière a surgi «comme un oiseau de proie qui fonçait sur le système bancaire», a dit récemment un analyste à Wall Street.

Heureusement, la bête a été repoussée. Mais une chose est sûre: les dettes massives que les États ont contractées pour protéger leur économie alimentent une autre bestiole qui commence, elle, à pointer son vilain nez.

Par exemple, l'Union européenne impose officiellement à ses membres une limite d'endettement public équivalant à 60% de leur produit intérieur brut (PIB). Pourtant, l'Italie affiche maintenant un taux de 116%, l'Allemagne 79%, la France et la Grande-Bretagne 77 et 69% respectivement.

Le poids toujours plus lourd des déficits aux États-Unis et au Canada est, par ailleurs, bien connu chez nous.

Cependant, on trouve bien pire à l'Est. Le Japon a un dossier financier affreux, qui donnerait des frissons au plus brave des banquiers. La deuxième économie mondiale est devenue la championne toutes catégories pour la dette publique - un monstre, digne des films d'horreur japonais de série B, qui sera bientôt deux fois plus gros que l'économie du pays.

60, 200... 300%

La descente aux enfers des Japonais est aussi dramatique que rapide. Le ratio d'endettement du Japon (dette/PIB), qui se situait à environ 60% en 1980 au beau milieu du boom économique du pays, est passé à 170% en 2008.

Or, les déficits s'accumulent. Si bien que la barre des 200% sera franchie dès l'an prochain, prévoit le Fonds monétaire international (FMI).

Et ce n'est pas fini. La dette publique du Japon pourrait atteindre les 300% du PIB d'ici 10 ans, selon diverses prévisions. Un record pour un pays riche.

Comment a-t-on pu en arriver là? C'est simple: une croissance proche de zéro durant 15 ans conjuguée à un accroissement des dépenses publiques, une consommation domestique amorphe et un taux de natalité famélique. Et pour empirer les choses, le Japon est officiellement retombé en mode déflationniste, selon les chiffres officiels publiés vendredi.

La crise financière a évidemment exacerbé les maux de dette nippons, Tokyo ayant injecté des dizaines de milliards pour soutenir la consommation pendant que ses exportations chutaient.

Cette tactique a donné de bons résultats... jusqu'ici: l'économie a progressé de 1,2% de juillet à septembre, soit 4,8% en rythme annualisé, a annoncé le gouvernement lundi dernier. Une hausse deux fois plus forte que prévu.

Mais l'embellie sera de courte durée, préviennent les experts. «Une fois de plus, l'économie a donné une de ces bonnes surprises qui ressemblent fort peu à la réalité, à savoir les difficultés auxquelles fera face le Japon à moyen et long terme», affirme la Société générale dans une étude.

«Les investisseurs restent sceptiques concernant la reprise après 2010, quand les mesures de relance se seront estompées», renchérit la banque française Calyon.

L'archipel japonais réussit donc à surnager, pour le moment. Car le gouvernement finance la quasi-totalité de sa dette publique (94%) avec de l'épargne domestique. En prime, on profite de taux d'intérêt proches de zéro.

Toutefois, le moment se rapproche où l'État ne pourra plus quémander auprès de ses citoyens, qui acceptent de placer à long terme à des taux ridiculement bas.

D'ailleurs, la propension légendaire des Japonais à épargner s'estompe. Leur taux d'épargne sera presque nul d'ici cinq ans, selon la Banque mondiale. L'État devra donc tendre la main aux étrangers.

Cependant, ce ne sont pas les taux d'intérêt bas ni les tristes perspectives économiques et démographiques qui les attireront. Les taux d'intérêt devront monter pour rassurer les prêteurs, augmentant la pression sur l'économie, les ménages et les finances publiques. Encore la spirale infernale.



Un avertissement du FMI



Les problèmes financiers du Japon sont un avertissement pour tout le monde. Face à la crise financière, les pays riches ont augmenté leur endettement pour éviter l'effondrement. C'était nécessaire, diront plusieurs. Mais il va falloir payer la note.

Ce qui signifie essentiellement deux choses, avertit le FMI: des coupes dans les dépenses publiques et des hausses d'impôt. C'est ce qui attend les pays du G20 au cours des 10 prochaines années, affirme l'organisme dans un récent rapport.

Sans quoi, la dette combinée du G20 atteindra un niveau insoutenable de 118% (contre 98% actuellement) de l'ensemble de leur PIB.

Il deviendra alors plus difficile de repousser la bête. Et aucun chef d'État ne veut se présenter devant ses banquiers avec un dossier de crédit à la japonaise.