Trop tôt, trop vite, trop loin. De Hong Kong au Brésil, des clignotants rouges s'allument pour signaler la naissance de nouvelles bulles dans les actifs financiers et immobiliers.

Inconnu du grand public voici trois ans, Nouriel Roubini est devenu l'un des oracles financiers les plus écoutés de la planète.

Le 7 septembre 2006, cet économiste enseignant à l'Université de New York avait décrit devant les bonzes du Fonds monétaire international (FMI) le déroulement, point par point, de la future crise des subprimes. Une sortie spectaculaire, que peu de gens ont prise au sérieux... jusqu'à ce que la crise éclate.

Dans une lettre publiée la semaine dernière dans le Financial Times, M. Roubini récidive. Surnommé Dr Doom (Dr Catastrophe), en raison de son penchant pour les prédictions apocalyptiques, l'économiste s'en prend cette fois à la Réserve fédérale américaine.

Selon lui, la Fed contribue à créer de nouvelles bulles spéculatives dans le monde à cause d'une politique monétaire trop généreuse et des taux d'intérêt très bas, qui contribuent à affaiblir le billet vert. N'en déplaise à M. Roubini, la Fed a gardé le cap, mercredi dernier, en prétextant que l'économie américaine demeure encore faible et nécessite son aide.

Or, une vaste machinerie spéculative, reposant sur la faiblesse du dollar américain, alimente une flambée d'actifs à risque, déplorent certains critiques.

Son fonctionnement repose surtout sur le mécanisme du «carry trade»: ces opérations consistent à emprunter dans un pays offrant de faibles taux d'intérêt pour réinvestir l'argent dans une monnaie ou des actifs qui offrent de meilleurs rendements. Concrètement, des spéculateurs empruntent des milliards en dollars américains, en profitant des faibles taux de l'oncle Sam, pour réinvestir le tout dans les économies en ébullition en Asie ou au Brésil, par exemple. Le jeu est simple et très payant.

Or, M. Roubini n'est pas seul. Le FMI, la Banque mondiale et l'OCDE mettent en garde contre les effets des mouvements spéculatifs.

Tout monte

Depuis six mois, «tout monte!» constate Patrick Artus, économiste à la banque française Natixis.

Dans une étude, l'expert soutient que les progressions spectaculaires de certains marchés sont déconnectées de la réalité. Par exemple, l'indice boursier MSCI des pays émergents a bondi de 61% depuis le 1er janvier.

«À la Bourse de Taiwan, les valeurs des actions représentent 100 fois les bénéfices des sociétés, 90 fois en Australie, contre 13 fois à la Bourse de Paris», déplore l'économiste dans un entretien avec le journal Le Monde.

Pour endiguer la crise financière, les banques centrales ont fait marcher la planche à billets en ouvrant les vannes du crédit au moyen de taux d'intérêt proches de zéro et en achetant des titres, parfois toxiques, afin de soulager les institutions financières. Les États, pour leur part, s'endettent lourdement pour relancer leur économie.

Mais on joue avec le feu. «La liquidité mondiale n'a jamais progressé aussi vite, souligne M. Artus. De 1990 à 2007, la monnaie en circulation progressait de 15% par an en moyenne. Aujourd'hui, le rythme est de plus de 30%.»

Brésil

D'autres observateurs aguerris s'inquiètent surtout pour les pays émergents, dont le Brésil, où l'appétit pour le risque est revenu.

Ainsi, les entrées de fonds au pays de la samba ont atteint 14,6 milliards US en octobre, soit environ huit fois plus que le mois précédent, selon la banque centrale brésilienne. Dans cette foulée, le real - la monnaie brésilienne - a grimpé de plus de 30% par rapport au billet vert depuis le début de 2009.

Si bien que le gouvernement vient d'imposer une taxe de 2% sur les transactions financières faites par des étrangers afin de calmer le jeu. «Notre souci, c'est l'excès d'investissements spéculatifs qui peuvent créer une bulle», a affirmé la semaine dernière le ministre brésilien des Finances, Guido Mantega.

Entre-temps, à Hong Kong, des groupes de pression demandent l'intervention de l'État pour freiner la spéculation immobilière. Depuis 10 mois, les prix des maisons dans l'ancienne colonie britannique ont grimpé de 28% en moyenne! Des gens sont incapables de se loger à des coûts réalistes, rapporte l'agence Bloomberg. De nouveau, on blâme l'argent qui coule à flots dans la région asiatique.

Bourses galopantes. L'immobilier qui flambe. Et le fossé qui se creuse entre l'économie réelle et la sphère financière... Bref, tout ça ressemble à un vieux film d'horreur qu'on n'a pas envie de revoir.