Bombardier a décroché hier un fabuleux contrat de Pékin pour fournir à la Chine 80 trains à très grande vitesse, soit 1120 voitures.

Attribuée à sa plus grande filiale chinoise, cette commande s'élève à près de 4,4 milliards CAN. Comme il s'agit d'une coentreprise à parts égales avec CSR Sifang Rolling Stock Co., la moitié de ces revenus lui reviendront.

Ce contrat tombe à point nommé pour Bombardier, qui souffre d'un ralentissement marqué de la demande pour ses jets d'affaires et ses avions régionaux, malgré une commande récente d'American Airlines.

Mais, au-delà de sa valeur financière, ce contrat est important à plusieurs égards. Il récompense la patience de Bombardier, qui s'est installée en 1998 à Qingdao, une ancienne colonie allemande sur la mer Jaune reconnue partout dans le monde pour sa bière - Qingdao se prononçant Tsing Tao.

Ce contrat reconnaît aussi les avancées technologiques des derniers Zefiro, des trains aérodynamiques qui peuvent foncer jusqu'à 380 km/h. (Par définition, un train à grande vitesse file à 200 km/h ou plus.) Ainsi, cette commande servira de vitrine à Bombardier, alors que l'Asie est en voie de renouveler et d'étendre ses réseaux ferroviaires.

Mais ce qui est peut-être le plus frappant, c'est la volonté de la Chine de se servir des fonds de son plan de relance (4000 milliards de yuan ou 640 milliards CAN) pour se doter d'infrastructures qui accroîtront sa compétitivité. On est loin du remplissage de nids-de-poule!

Cette volonté se manifeste par le calendrier de livraison serré. «Le premier train doit être livré en 2012 et le dernier, en 2014», précise le communiqué. Ce contrat serait donc achevé en moins de cinq ans!

Difficile, dans le contexte, de résister à l'envie de se comparer. Cela fait 28 ans qu'on discute d'un TGV au Canada, la première étude de faisabilité de VIA Rail remontant à 1981...

Ironie du sort, mon collègue Joël-Denis Bellavance a révélé hier que le chef libéral Michael Ignatieff s'engagera à construire un train à grande vitesse dans le couloir Québec-Windsor lors de la campagne à venir.

Déjà, la polémique est relancée. Le premier ministre Jean Charest préférerait que le projet se réalise d'un coup, et non en deux temps, en commençant par le tronçon Montréal-Toronto. Des maires des deux côtés du fleuve Saint-Laurent se disputent au sujet du tracé de cette liaison rapide.

Mais on peut vraisemblablement faire l'économie de quelques chicanes de clocher. Car au-delà des promesses électorales, la volonté politique est-elle réellement là? Si l'histoire nous a enseigné quelque chose, c'est que rien n'est moins certain.

Michael Ignatieff lui-même croyait tellement dans le TGV à la dernière campagne électorale qu'il a refusé d'en faire un engagement, même s'il en rêvait dans son dernier livre, Terre de nos aïeux! «J'ai écrit un livre, pas un programme électoral», disait-il alors.

Le premier ministre Jean Charest et son homologue ontarien Dalton McGuinty se sont aussi engagés à ressusciter le projet de TGV, lors d'une conférence commune très médiatisée, en janvier 2008.

Cet engagement nécessitait toutefois la réalisation d'une nouvelle étude de faisabilité - la huitième depuis 1981. Or, un an plus tard, La Presse a appris que les gouvernements n'avaient même pas sélectionné les firmes pour la réaliser. De fait, le rapport des cinq firmes du consortium EcoTrain ne sera pas achevé avant le printemps prochain. C'est ce qu'on appelle une sacrée priorité!

Ce n'est pas pour rien que, lorsque Laurent Beaudoin a pris sa retraite, en juin 2008, il a exprimé ses doutes quant à la réalisation d'un TGV au Canada. «La seule façon que le train rapide puisse arriver ici, c'est si un parti politique en fait sa priorité», disait-il avec une pointe d'amertume après des années de vains efforts.

Or, les conseillers politiques dans l'entourage de Michael Ignatieff évoquent déjà les contraintes budgétaires qui pourraient remettre en question ce projet. Ce sont ces mêmes pressions qui, en 1998, ont incité l'ex-ministre des Transports David Collenette à abandonner le projet de train ultrarapide piloté par Alstom, Bombardier, SNC-Lavalin, entre autres.

Les sceptiques font valoir qu'un projet aussi coûteux serait impossible à rentabiliser dans un pays peu peuplé. Les informations à ce sujet sont vieilles ou partiales.

Dans une étude déposée en juin, la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) croit qu'un TGV dans le corridor Québec-Windsor réunit toutes les conditions de rentabilité financière.

Il faudrait attendre 30 ans avant de rentabiliser l'investissement initial de 18,3 milliards de dollars grâce aux profits d'exploitation, concluait toutefois une étude de faisabilité qui remonte à 1995.

Mais de quelle façon a-t-on mesuré et tenu compte des coûts totaux du système actuel et des bénéfices moins tangibles d'un TGV? En 2009, le climat n'est plus le même, sans jeu de mots. La congestion routière et les délais aux aéroports volent de plus en plus d'heures de travail. Pendant ce temps, le Canada réduit ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre, faute de pouvoir atteindre ses cibles plus ambitieuses. Un TGV offre des bénéfices indéniables pour la productivité et l'environnement.

C'est sans parler du fait que les Canadiens sont les otages de tortillards qui s'arrêtent pour laisser les passer les trains de marchandises. Tandis que Bombardier construit les trains les plus rapides de la planète en Chine...

Vivement que l'on casse le moule du «annoncer grand, faire petit».

 

LE CONTRAT EN BREF

Valeur totale de 4,4 milliards

La part attribuée à Bombardier atteint 2,2 milliards

Construction de 80 trains à grande vitesse, soit 1120 voitures au total

Livraison prévue entre 2012 et 2014

Les trains seront construits en Chine