Le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, a annoncé cette semaine que le déficit budgétaire de l'exercice en cours atteindra 56 milliards. C'est 6 milliards de plus que ses prévisions du printemps dernier, et 22 milliards de plus que le déficit prévu dans son budget de janvier.

Le ministre a-t-il perdu la maîtrise de la situation? Pour l'économiste et député libéral John McCallum, la réponse est claire : «Les Canadiens, dit-il, ne peuvent plus avoir confiance en ce ministre.»

La réalité n'est pas aussi simple. S'il avait lui-même été dans les chaussures de M. Flaherty, le député McCallum n'aurait sans doute pas fait les choses différemment.

Les prévisions émises par le ministère des Finances, en janvier, étaient basées comme toujours sur les renseignements les plus fiables disponibles à l'époque, et reflétaient le consensus des économistes des grandes institutions du secteur privé. On s'attendait à ce moment à une contraction économique de 0,8 % en 2009. Or, la récession a été beaucoup plus dure que prévu, et on parle aujourd'hui d'un recul de 2,3 %. Chaque fois que le produit intérieur brut (PIB) recule de 0,1 %, cela coûte 1,5 milliard au gouvernement.

M. Flaherty a été pris de court, c'est certain, mais on ne peut pas conclure pour autant qu'il a perdu le contrôle des finances publiques. Toutes proportions gardées, la situation est autrement plus tolérable, aujourd'hui, qu'elle ne l'était il y a 15 ans, au pire de la crise des finances publiques. À l'époque, la dette fédérale atteignait 72 % du PIB ; aujourd'hui, elle se situe à 29 %.

En revanche, lorsque le ministre affirme que le gouvernement pourra revenir au déficit zéro dans six ans, grâce à des restrictions budgétaires dont la nature reste à préciser, et sans hausser les impôts ni sabrer dans les transferts aux provinces, il entretient une vaste foire aux illusions.

L'expérience montre que les choses ne se passent pas comme cela.

Pour mieux comprendre la vraie nature des défis qui attendent M. Flaherty et ses successeurs, faisons un petit rappel historique.

En 1993-1994, les finances publiques fédérales sont dans un état de délabrement avancé. Cette année-là, l'ensemble des recettes budgétaires se situe à 113 milliards. Ce montant provient essentiellement des taxes et impôts. La même année, l'ensemble des dépenses se chiffre à 155 milliards. Cela laisse un gigantesque déficit de 42 milliards. Le pire, c'est que tout cet argent ne sert pas à financer des services à la population, mais à payer les intérêts sur la dette.

Il a fallu quatre ans pour redresser la situation. En 1997-1998, le ministre libéral Paul Martin annonce des recettes de 152 milliards et des dépenses de 149 milliards, pour un surplus de 3 milliards.

Apprécions l'ampleur de ce revirement : 45 milliards, ce n'est quand même pas rien.

En scrutant les chiffres de plus près, nous voyons que pour parvenir au déficit zéro, le gouvernement a augmenté ses recettes, donc les taxes et les impôts, de 39 milliards, ou 35 %. Pendant la même période, il s'imposait des compressions budgétaires de 6 milliards, ou seulement 3 %.

Ces compressions englobent aussi bien les mises à pied et les gels salariaux dans la fonction publique, la réduction drastique des transferts aux provinces, le massacre de certains programmes sociaux comme l'assurance-emploi ou les pensions de vieillesse, l'érosion des subventions agricoles, les compressions dans le financement des sociétés d'État, la suppression d'une quarantaine d'agences et organismes gouvernementaux, et j'en passe. Pour arriver à comprimer ses dépenses de 3 %, Ottawa a imposé d'énormes sacrifices aux provinces, aux chômeurs, aux aînés, aux fonctionnaires.

Or, malgré les hauts cris des provinces, des syndicats et des lobbies de toutes sortes, ces sacrifices ne sont rien à côté de ce qu'on a demandé aux contribuables.

La véritable vache à lait du gouvernement, ce sera la désindexation des impôts, introduite par le conservateur Michael Wilson et maintenue par Paul Martin. La désindexation est une augmentation d'impôts pernicieuse : même si les taux d'imposition ne montent pas, les contribuables paient de plus en plus d'impôts parce qu'ils progressent beaucoup plus rapidement dans les fourchettes d'imposition non indexées.

Une autre mesure introduite par le gouvernement Mulroney et poursuivie par celui de Jean Chrétien a apporté des milliards aux coffres fédéraux, et fortement contribué à éliminer le déficit et à rembourser la dette : c'est la réforme de l'assurance-emploi, qui a augmenté les cotisations et réduit les prestations.

Les cotisations sont directement ajoutées aux autres recettes budgétaires. Les prestations sont également comptabilisées comme une dépense budgétaire. Avec la réforme, les cotisations sont devenues plus importantes que les prestations. Il s'en est automatiquement dégagé un surplus qui a été canalisé directement sur la réduction du déficit.

Dans ces conditions, lorsque M. Flaherty tente de faire accroire qu'il suffira de revoir les dépenses fédérales pour retrouver le déficit zéro en 2016, sans toucher aux taxes et aux impôts, il ne fait rien d'autre que de jeter de la poudre aux yeux.