Isabelle X, trentaine avancée, en a marre de son prénom. Elle va le changer pour Gaby. Pourquoi? Parce qu'elle en a ras le bol des erreurs d'identité dont elle est victime depuis une quinzaine d'années. Isabelle X a sur les bras un gros problème de triple identité, soit celle des deux autres Isabelle qui portent le même nom de famille, toutes étant nées le même jour qu'elle.

Elle n'est plus capable de voir apparaître dans son dossier personnel des maladies et des dettes qui concernent les deux autres Isabelle.

Voici sa rocambolesque histoire.

Le triplement de personnalité d'Isabelle X commence la veille du référendum de 1995.

«Je reçois un téléphone de la direction des élections: madame, vous êtes déjà inscrite à Kuujjuaq... Je réponds: euh, non, c'est pas moi, il y a une erreur. Ben non! Il y a une Isabelle née la même date que moi, qui habite à Kuujjuaq et qui est inscrite sur la liste électorale. Pour voter, j'ai dû signer un affidavit devant témoin...»

En 1999, son employeur lui offre la possibilité d'acquérir une assurance invalidité.

«La compagnie d'assurances refuse de m'assurer sous prétexte que j'ai la maladie de Crohn!»

«Pardon? J'ai jamais eu cette maladie», dit-elle à la compagnie d'assurances. On lui répond: «Ah, ben vos dossiers, madame, ils nous disent que vous avez la maladie de Crohn, on ne peut pas vous assurer...»

Conséquence: Isabelle X doit effectuer de multiples démarches pour régulariser sa fiche médicale. Afin de faire rayer de son dossier médical la maladie de Crohn, elle doit signer divers documents et aller chez un médecin pour passer un examen.

Arrivent les élections fédérales de l'année 2000. «Je ne peux pas voter dans mon bureau de scrutin: je ne suis pas inscrite sur la liste électorale.»

Après vérification, on lui dit qu'elle est inscrite à Saint-Jean-Port-Joli. Pour régulariser sa situation, elle doit signer cette fois une déclaration assermentée comme quoi elle est bel et bien Isabelle..., née à telle date et habitant à Montréal.

Pas chanceuse, arrivent des nouvelles élections fédérales en 2002. Cette fois, on lui dit qu'elle ne peut voter à Montréal parce qu'elle est inscrite à... Trois-Rivières. Et elle signe de nouveau une déclaration confirmant qu'elle n'est pas l'Isabelle X de Trois-Rivières, mais une Isabelle X de Montréal. Afin d'éviter un autre «zapping» de son identité, elle fait ajouter son deuxième prénom: Gaby.

En 2007, Isabelle X décide de souscrire une assurance invalidité, à titre de travailleuse autonome. «Je suis refusée. On me dit de nouveau: «Vous avez la maladie de Crohn, madame!» De retour à la case départ: déclaration du médecin, lettre signée devant témoin, la galère...

Mais la raison ultime qui l'a vraiment fait sortir de ses gonds est survenue il y a à peine deux semaines lorsque Isabelle X s'est présentée à sa banque pour contracter un prêt.

La conseillère sort son dossier de crédit et lui dit: «Mais madame, ça n'a pas d'allure, on ne peut pas vous prêter plus que ça, vous avez presque 300 000$ en prêts, en marges et en cartes de crédit!»

«Quoi? Je lui arrache la pile de papier qu'elle a dans les mains, et, effectivement, ce sont huit pages, écrites en petits caractères, plein d'éléments de crédit: marge hypothécaire (2!), marges de crédit (5), cartes de crédit (2 Sears, 3 Visa, 2 Master Card), alouette! Je regarde en haut de la liste, c'est bien moi, Isabelle..., née à telle date.»

«Sauf que c'est pas à moi, toutes ces dettes! J'en ai un peu, mais pas tant que ça! Je regarde l'adresse... Selon la banque, j'aurais changé d'adresse quatre fois en cinq ans: de Montréal, à Saint-Jean-Port-Joli, à Saint-Basile-le-Grand, et là, je ne serais pas ici, je serais retournée à Saint-Jean-Port-Joli. Le numéro de téléphone n'est pas bon, non plus.»

Devant le dossier de crédit erroné, que lui a dit la conseillère de la banque? «Va falloir que vous alliez régler votre dossier à TransUnion, sinon, on ne pourra pas vous aider...»

De retour chez elle avec ses huit pages de dossier de crédit erroné, Isabelle X était complètement atterrée, psychologiquement démolie. «Je n'étais plus capable de parler. Comme c'était là, on ne serait même pas capable de renouveler notre hypothèque. Et si la mention Crohn était revenue dans mon dossier et que je tombe malade? Ça va prendre combien de temps avant de me payer? Et si je meurs, demain matin, et que mon chum se fait dire non seulement qu'il faut payer toutes les dettes des autres Isabelle, et qu'en plus ils refusent de verser mon assurance-vie sous prétexte que j'ai «menti» sur ma demande de souscription... J'ai capoté.»

Reprenant courage, Isabelle X entreprend le lendemain matin les démarches pour tenter de régler son grave problème de dossier de crédit erroné. Elle communique avec TransUnion, Equifax, l'ombudsman des assurances, le Medical Information Bureau...

Elle a finalement découvert la source du problème de son dossier de crédit: le système de vérification de crédit de sa banque accepte des requêtes en se fiant uniquement au nom et à la date de naissance, risquant ainsi de mélanger (comme ce fut le cas avec Isabelle) les dossiers de crédit de clients.

La solution: retracer le dossier de crédit d'une personne à partir de son numéro d'assurance sociale. Ce que sa banque a finalement fait, et tout est rentré en ordre. La banque s'est timidement excusée. Isabelle X a décidé de porter plainte auprès de l'ombudsman de la banque et de réclamer un dédommagement pour l'avoir accablée avec un dossier de crédit erroné.

À suivre...