Le dossier-choc présenté dans La Presse la semaine dernière par mes collègues Marie Allard et Catherine Handfield nous apprend que, pour la première fois, les élèves allophones sont plus nombreux que les francophones dans les écoles publiques de l'île de Montréal.

Ensemble, les petits qui parlent arabe, espagnol, italien, créole, chinois, tamoul, vietnamien, bengali et des dizaines d'autres langues forment maintenant 39,5% de la clientèle scolaire montréalaise, contre 39% pour les francophones et 21,5% pour les anglophones.

Au-delà du caractère spectaculaire de cette nouvelle, il fallait bien s'attendre à ce que cela arrive inévitablement un jour ou l'autre.

Dans le dossier de l'immigration, le Québec est catégoriquement divisé en deux entités aussi différentes que l'eau et le feu: Montréal d'une part, le reste de la province de l'autre. Cela est connu depuis longtemps, mais un coup d'oeil sur les chiffres compilés par l'Institut de statistique du Québec permettra de mieux mesurer l'abîme qui sépare Montréal des régions.

En 2007, dernière année pour laquelle on dispose de statistiques régionales complètes, l'île de Montréal a accueilli à elle seule 32 600 immigrants. Si on ajoute Laval, la Rive-Sud et la couronne nord, on arrive au total de 38 000. Pendant ce temps, le reste du Québec n'en recevait que 7100. Autrement dit, la région de Montréal attire cinq immigrants sur six, et la vaste majorité d'entre eux choisit de s'installer dans la ville centre. Ces chiffres ne concernent que l'immigration internationale, et ne tiennent donc pas compte des migrations interprovinciales.

Or, l'année 2007 n'a rien d'exceptionnel. De très loin, Montréal a toujours été le premier choix des immigrants qui s'installent au Québec. Entre 1987 et 2007, le Québec a accueilli 754 000 immigrants. De ce nombre, 625 000 ont élu domicile dans la région de Montréal, dont 527 000 dans l'île même. En moyenne depuis 20 ans, 83% des nouveaux arrivants s'installent à Montréal.

Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner si les petits allophones sont devenus plus nombreux à l'école que les petits francophones, et la tendance ne fera que s'accentuer. Au rythme où les choses évoluent, les allophones dépasseront le cap des 50% de la clientèle scolaire dans 17 ans; à ce moment, c'est-à-dire en 2026, les élèves francophones ne seront plus que 29%.

Il se peut même que cela arrive avant 2026, parce que Montréal souffre d'un solde migratoire interprovincial négatif chronique.

Systématiquement, chaque année, des milliers de Montréalais choisissent d'aller vivre dans une autre province; la métropole a ainsi perdu 19 600 résidants en 2007 seulement (la moyenne des 20 dernières années est de 16 000 départs). Certes, il y aussi des Canadiens des autres provinces qui déménagent à Montréal, mais ils sont moins nombreux: en moyenne 8700 par année. Ainsi, en 20 ans, le solde migratoire interprovincial de Montréal s'achève par une perte de 146 000 citoyens. C'est un drame. Il n'existe pas de statistiques permettant de chiffrer les migrations interprovinciales en fonction de la langue maternelle, mais on peut certainement penser que tous les groupes linguistiques, francos, anglos et allophones confondus, sont représentés chez ceux qui choisissent de quitter Montréal et le Québec pour une autre province.

Si la population de Montréal se maintient malgré un solde interprovincial négatif, c'est évidemment à cause de la forte immigration internationale.

Toujours est-il que la prodigieuse force d'attraction de Montréal auprès des immigrants internationaux ne laisse pas beaucoup de place aux nouveaux venus, dans les régions. À cet égard, il existe un monde de différence entre Montréal et le reste du Québec.

Depuis 20 ans, nous venons de le voir, Montréal reçoit en moyenne 31 300 immigrants par année. La ville de Québec arrive très loin derrière avec 2000. Quand on sort de ces deux villes, les chiffres tombent à des niveaux hadaux. En tout et partout, depuis 1987, le Saguenay-Lac-Saint-Jean reçoit en moyenne 290 immigrants par année; la Mauricie, 230; le Bas-Saint-Laurent, 71; l'Abitibi-Témiscamingue, 45; la Côte-Nord, 28; enfin, sur les quelque 40 000 immigrants qui s'installent au Québec chaque année, seulement 20 optent pour la Gaspésie.