Vous avez peut-être remarqué l'excellent dossier de mon collègue Marc Tison, dans La Presse Affaires de jeudi. On y apprend que les jeunes Québécois, contrairement à un préjugé largement répandu, sont loin d'être des paniers percés; en fait, ils épargnent beaucoup plus que leurs parents.

Cette nouvelle apparaît comme une agréable surprise. Tous les spécialistes en finances personnelles vous diront qu'épargner, c'est investir dans sa qualité de vie.

 

Or, si on regarde la chute spectaculaire du taux d'épargne depuis quelques années (sur ce point, le Québec n'est pas tellement différent du reste du Canada), il pourrait y avoir de quoi s'inquiéter: c'est comme si les gens mettaient toute prudence de côté.

Comme l'a montré le reportage de Marc Tison, il semble que le message passe mieux chez les jeunes. Il faut toutefois préciser que leur profil d'épargnants n'est pas le même que chez les ménages plus âgés: la première raison qui motive les jeunes à épargner, c'est pour réaliser un projet qui leur tient à coeur.

Le taux d'épargne est la proportion du revenu personnel disponible (c'est-à-dire les revenus provenant de toutes sources moins les taxes, impôts et contributions sociales) que les gens mettent de côté. Cela ne comprend pas les caisses de retraite.

En 1982, au Canada, le taux d'épargne a atteint un record de 20,2%, du jamais vu depuis que Statistique Canada a commencé à compiler ce genre de données, au début des années 60. Par la suite, on observe une érosion presque ininterrompue. À peine cinq ans plus tard, dès 1987, le taux d'épargne dégringole à 11, 9%. Certes, il y a bien quelques sursauts à l'occasion; ainsi, en 1991, il rebondit à 13,3%. Mais la descente vers le bas est aussi spectaculaire qu'inexorable: 9,5% en 1994, 5,2% en 2001, et un creux historique de 2,1% en 2005. Depuis, il a légèrement remonté (2,5% en 2007, 3,7% l'an dernier), mais demeure extrêmement bas.

De là à conclure que les consommateurs ont oublié les vertus de l'épargne et se comportent de façon irresponsable, il n'y a qu'un pas.

Il faut se garder de le franchir trop rapidement.

En fait, les ménages ont une excellente raison de bouder les comptes d'épargne: ils ne rapportent plus rien!

Si on observe l'évolution des taux d'intérêt et du taux d'épargne depuis le début des années 60, tels que compilés par Statistique Canada, on est frappé par la corrélation entre les deux. À quelques nuances près, la courbe est pratiquement identique. Plus les taux d'intérêt augmentent, plus le taux d'épargne grimpe également, et l'inverse est aussi vrai.

Ainsi, nous venons de voir que le taux d'épargne avait atteint un sommet en 1982. Or, depuis les 50 dernières années, c'est en 1981 que les épargnants obtenaient les meilleurs rendements: plus de 15% en moyenne sur les dépôts d'épargne des banques. Et les quelques sursauts qu'on peut observer depuis ce temps sont toujours liés à des hausses temporaires de taux d'intérêt.

C'est une évidence: lorsque les taux sont élevés, les gens, comme épargnants, ont intérêt - c'est le cas de le dire - à en profiter, et à augmenter leur effort d'épargne en conséquence: cela rapporte gros. Lorsque les taux sont bas, les mêmes gens, comme consommateurs, ne voient pas pourquoi ils laisseraient dormir leurs épargnes dans des comptes qui ne rapportent même plus autant que la hausse de l'indice des prix à la consommation: cela équivaut à s'appauvrir. Dans ces conditions, mieux vaut consommer.

Bien sûr, l'évolution des taux d'intérêt ne peut pas expliquer, à elle seule, les fluctuations du taux d'épargne. Il faut aussi tenir compte d'autres facteurs, comme la conjoncture économique, l'état de santé du marché du travail, l'inflation, les taux de change, le poids de la dette publique, entre autres.

Mais il apparaît clairement, en observant les données des 50 dernières années, que les ménages épargnent ou consomment en fonction de l'évolution des taux d'intérêt. Ils sont loin d'être des irresponsables: au contraire, ils cherchent à profiter au maximum de la conjoncture. Que les taux d'intérêt remontent, et on peut compter sur les ménages pour redécouvrir les vertus de l'épargne.