La crise financière a freiné une période de croissance fastueuse pour l'Inde. La troisième économie asiatique a bien résisté jusqu'ici et s'apprête à rebondir. Mais dame Nature risque de tout gâcher.

Des paysans de l'État de Bihar, dans l'est de l'Inde, ont trouvé un remède original à la sécheresse qui compromet actuellement leur production.

 

Ils demandent aux filles célibataires du village de labourer les champs... nues. Le but est d'embarrasser les dieux de la météo et de les pousser à apporter la pluie tant attendue.

Des témoins cités par des agences de presse disent avoir vu récemment, après le coucher du soleil, des femmes dévêtues travailler dans les champs tout en invoquant les dieux par des chants traditionnels.

La mousson est finalement arrivée, inondant certains villages. Mais les pluies sont cantonnées surtout dans le Sud, moins abondantes que prévu et même inférieures aux moyennes historiques. Si bien que ce régime sec imposé par dame Nature menace le retour à la normale de l'économie.

Un impact majeur

On ne peut jamais surévaluer l'importance de la pluie en Inde, malgré les pertes de vie et les dégâts causés par une mousson trop abondante certaines années.

L'agriculture représente plus de 18% de l'économie nationale, selon la firme Morgan Stanley. Et les fermiers n'ont que la mousson, qui dure de deux à trois mois, pour arroser leurs champs.

La semaine dernière, le service national des études météorologiques a semé la consternation dans le milieu agricole en révisant à la baisse ses prévisions pour la seconde fois. On prévoit que les pluies seront de 13% inférieures à la normale de juillet à septembre.

Deuxième producteur de riz au monde, l'Inde s'oriente ainsi vers une baisse de 20% de ses récoltes cette année, selon le gouvernement.

Le manque d'eau touche aussi le cours du sucre. Une production particulièrement faible en Inde, deuxième producteur et premier consommateur mondial, a poussé le prix du sucre à des records ces derniers jours.

En Inde, quelque 750 millions de personnes (sur une population de 1,1 milliard) vivent à la campagne, et leur pouvoir d'achat dépend beaucoup de l'agriculture.

Aussi, la banque Citigroup sonne l'alarme. Elle affirme que des pluies insuffisantes pourraient retrancher 2 points de pourcentage à la croissance économique. C'est énorme, si l'on pense que l'éclatement de la bulle technologique en 2000 avait eu un impact moins important sur les États-Unis.

Le gouvernement indien espère un retour à une croissance de 7% en 2010, après un taux annualisé d'à peine 5% au début 2009 et d'environ 9% avant la crise. Une sécheresse particulièrement grave, en 2003, avait réduit la progression économique à seulement 3,8%, la plus faible en 11 ans, rappelle l'agence Bloomberg.

L'Inde résiste

Hormis la mousson insuffisante, il y a tout de même une bonne nouvelle: l'économie indienne ne s'est pas effondrée avec la crise financière, et ses marchés boursiers remontent.

Les clés de cette résistance: d'abord, le pays de Gandhi dépend relativement peu du commerce international, ce qui l'expose moins à la récession qui frappe l'Amérique et l'Europe.

Certes, les industries exportatrices - comme les technologies de l'information, les pièces de voitures ou le textile - souffrent du ralentissement mondial. Mais elles représentent seulement 22% du PIB indien, contre 37% du PIB chinois.

De plus, le système financier a évité une débâcle hypothécaire à l'américaine. Et le gouvernement de Manmohan Singh a agi rapidement pour atténuer le ralentissement.

Il a pris l'an dernier des mesures en faveur de la consommation, qui représente 60% de l'économie. En parallèle, la «Banque centrale indienne a fait preuve d'une grande capacité de réaction pour surmonter l'assèchement de la liquidité», note BNP Paribas dans une étude. Les taux d'intérêt ont été régulièrement abaissés: le taux directeur est passé de 9% à 4,75% au début de l'été.

En revanche, les déficits publics augmentent et la dette de l'État devrait s'élever à plus de 80% du PIB, preuve que le problème de l'endettement ne menace pas seulement les pays occidentaux.

Malgré tout, le gouvernement indien vient d'annoncer des projets pour améliorer les infrastructures délabrées du pays. Des milliards seront injectés dans le réseau routier, ce qui devrait donner un nouvel élan à l'économie.

Entre-temps, le monde rural continue de prier. Le gouvernement a promis samedi un soutien financier, mais les fermiers comptent surtout sur l'aide des dieux de la pluie... et peut-être sur les femmes du village.