Englué dans sa pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale, l'Archipel émerge peu à peu de la crise. La demande chinoise aidant, les usines du Japon recommencent à tourner. Mais les consommateurs, eux, restent figés.

Les usines japonaises ont encore augmenté leur production en juin, la plus forte expansion en plus d'un demi-siècle. Si bien que la deuxième économie de la planète se remet à croire que la crise tire à sa fin.

 

Jeudi, on a appris que la production industrielle japonaise avait augmenté de 2,4% le mois dernier, portant la croissance du deuxième trimestre à 8,3% - plus forte hausse trimestrielle depuis 1953.

Les manufacturiers ont également augmenté la cadence en juillet et en feront autant ce mois-ci, selon une enquête nationale. Ce qui fait dire au gouvernement que l'industrie japonaise «est sur la voie de la reprise».

«Le solide rebond de la production industrielle présage d'un redémarrage (de l'économie) au deuxième trimestre», renchérit le Crédit suisse dans une note économique.

Fonds publics

Comment expliquer ce regain de vie? Les fabricants japonais, qui ont réduit leur production d'environ 40% par rapport à leur sommet, doivent refaire leurs stocks pour répondre à la demande de la Chine et de certains clients asiatiques surtout.

Les pays riches ont accouché de plans de relance d'une valeur de 2000 milliards US pour requinquer leur économie. La Chine et les États-Unis ont budgété 700 milliards chacun pour soutenir la consommation et les investissements en infrastructures. C'est sans compter les 10 000 milliards US que les gouvernements ont offerts en garanties aux banques, selon le FMI (Fonds monétaire international).

Pour sa part, Tokyo a adopté, en mai, une rallonge budgétaire de 100 milliards US - somme historique - pour huiler les rouages du pays. L'industrie japonaise profite donc des largesses des gouvernements pour se remettre en marche.

Mais la force et la durabilité de la reprise pressentie suscitent des doutes compte tenu des problèmes profonds qui affligent le pays du Soleil levant. «La reprise (japonaise) est à la hauteur des plans de relance, mais pas plus», affirme la banque Barclays dans une étude.

Chômage

Le Japon traverse sa pire récession depuis 1945 à cause de l'effondrement de ses exportations. Au premier trimestre, l'économie s'est contractée de 14,2% (taux annuel), du jamais vu en 60 ans.

Cette tourmente s'accompagne d'un retour de la déflation, phénomène pernicieux de baisse des prix dû, notamment, aux capacités de production excédentaires.

Les usines nipponnes ne tournent en effet qu'à 60% de leur capacité, selon des études. Le géant Toyota, par exemple, a réduit sa production de 43% en un an.

Or, les industriels japonais ne peuvent compter sur le marché intérieur pour soutenir leur production.

Le taux de chômage a atteint 5,2% en mai - un sommet en près de six ans. Près de 3,5 millions de chômeurs ont été recensés, soit un million de plus en un an.

La crise de l'emploi est telle que Japan Inc. délaisse peu à peu le modèle sacré du travail à vie. La flexibilité est devenue la règle, de sorte que le travail temporaire représente le tiers des emplois, selon le Crédit suisse. «Le rebond manufacturier ne profite pas aux ménages, car les fabricants réduisent encore leurs coûts», ajoute Barclays.

Dans ce contexte, les Japonais ont de moins en moins d'argent en poche et la consommation ralentit. En juin, les ventes de détail ont chuté pour le dixième mois consécutif.

Vieillissement

Et si tous les pays développés souffrent du vieillissement de leur population, le problème atteint un niveau catastrophique dans l'Archipel.

Proportionnellement, le Japon a la population la plus âgée du monde: 22% des habitants ont plus de 65 ans, selon le Bureau américain du recensement. Qui plus est, le vieillissement se double d'un refus de l'immigration dans ce pays, deux facteurs peu propices à la consommation.

Dans ces conditions, le Japon pourra difficilement connaître une croissance soutenue. Il a pourtant besoin de créer de la richesse pour financer une énorme dette publique: l'an prochain, le passif de l'État atteindra déjà 200% du PIB - un record pour un pays industrialisé.

Bref, le Japon est dans une impasse dont il sera difficile de sortir.

Ce sentiment est d'ailleurs partagé par les milieux financiers. Aussi, la valeur marchande de la Bourse japonaise, jadis à égalité de celle de Wall Street, vient d'être dépassée par la Bourse de Shanghai. Le monde bascule pour Tokyo, qui a glissé au troisième rang mondial du palmarès boursier.

Le Japon, qui semblait destiné à dominer le monde durant les années 80, a donc perdu de son attrait pour les investisseurs. Ceux-ci semblent même convaincus que, d'ores et déjà, le soleil se lève ailleurs en Orient.