Je ne peux pas oublier la date du 19 juillet 1969. Pas à cause d'Apollo 11, non, non. Cette date, c'est celle de mon mariage - qui dure toujours, d'ailleurs, et j'en profite pour remercier ma conjointe de sa patience!

Pendant la réception des noces, le sujet de l'heure, c'était Apollo 11 comme de raison. Tout le monde s'extasiait devant les prouesses techniques qui permettaient d'envoyer des hommes sur la Lune. Rigoureusement impensable quelques années plus tôt: après tout, le premier Spoutnik datait d'à peine 12 ans, et tout ce qu'il avait réussi à faire avait été d'émettre un «bip-bip» avant de se désintégrer dans l'espace quelques semaines plus tard. Et pourtant, et pourtant, tout émerveillés pouvaient-ils être devant la mission spatiale américaine, les gens ne pouvaient encore se douter que le monde n'en était qu'à ses premiers balbutiements technologiques.

En 1969, les premières calculettes faisaient leur apparition. Ma conjointe en a acheté une chez Dupuis Frères. Une merveille pour l'époque, un instrument plus que sommaire selon les critères de 2009. La machine était limitée aux quatre opérations de base, ne possédait pas de mémoire, et il fallait la brancher dans une prise de courant. Prix: 125 $, l'équivalent de 726 $ aujourd'hui! En 2009, on peut, pour le prix d'un verre de vin au restaurant, acheter une calculatrice financière qui fournit en une fraction de seconde les valeurs futures d'un placement, les versements mensuels d'une hypothèque et des dizaines d'autres opérations. Et même, les plus sophistiquées des calculettes sont déjà largement dépassées par Excel.

En 1969, la seule façon pour un journaliste en reportage à l'extérieur d'envoyer ses textes au pupitre était le bon vieux dictaphone. Au milieu des années 70, l'apparition du bélinographe, lointain et paresseux ancêtre du télécopieur, était considéré comme un progrès énorme. Jusqu'en 1979, tous les textes étaient tapés à la machine à écrire. Le vacarme dans les salles de rédaction était épouvantable. Quand La Presse a installé ses premiers ordinateurs en 1980, nous étions emballés; et pourtant, ces ordinateurs (qui n'étaient au fond que de rudimentaires machines à traitement de textes) apparaissent comme des Néanderthaliens à côté des ordinateurs d'aujourd'hui.

En 1969, la télé couleur existait déjà, mais était réservée aux plus riches, aux plus snobs et aux tavernes, une autre institution évanouie dans la nuit des temps. Nous étions à des années-lumière des jeux vidéo, et encore a-t-il fallu, pour en arriver aux jeux sophistiqués de 2009, passer par Atari, Intellivision, les Nintendo des premières générations, bien désuets aujourd'hui, mais tous considérés comme des innovations en leur temps.

Et pendant que Neil Armstrong et Buzz Aldrin foulaient le sol lunaire, personne, même chez les esprits les plus fantasques, personne n'aurait pu prévoir l'avènement du courrier électronique, d'Internet, des DVD, GPS, iPod et j'en passe. Depuis toujours, je suis un passionné de cartes géographiques; j'adore collectionner les atlas. Si quelqu'un m'avait dit, en 1969, qu'il existerait un jour une chose aussi fantastique que Google Earth, je ne l'aurais jamais cru.

En 1969, les Québécois commençaient timidement à acheter des voitures japonaises. Tout ce qui était made in Japan était considéré comme bas de gamme, et les rares acheteurs de Toyota et Datsun (l'ancêtre de Nissan) passaient pour quelque peu excentriques. À l'époque, ça ne se contestait pas : le summum de la qualité et de la fiabilité, c'étaient les produits GM!

En 1969, tout le monde fumait : au bureau, en voiture, dans les autobus interurbains, au resto, à l'hôpital jusque dans les chambres des malades, dans les salles de cours des cégeps qui venaient tout juste d'accueillir leurs premiers étudiants, à table même si les autres n'avaient pas fini de manger, au cinéma, partout...

En 1969, au Québec, il était extrêmement rare de prendre du vin aux repas. À Noël, au Jour de l'an, à Pâques, dans les grandes occasions. Le Manoir Saint-David, le Grand Supérieur, le Ben Afnam, le Liebfraumilch Blue Nun et, dans le pire des cas, l'infect Saint George, sorte de ratafia abominablement sucré, figuraient parmi les meilleurs vendeurs de la Commission des liqueurs. Mais le produit vedette de l'époque demeure sans conteste le râpeux gros gin DeKuyper. Que de changement depuis!

Et pendant que les astronautes d'Apollo 11 approchaient de la Lune, ma conjointe et moi quittions discrètement l'agitation de la réception des noces pour goûter notre lune de miel. Elle avait 22 ans, moi 24....