Besoin d'argent? Allez faire un tour en Chine où le crédit coule à flot. Les banques chinoises distribuent des centaines de milliards aux entreprises et aux consommateurs, mais ces prêts à tout va suscitent des inquiétudes.

Il y a quelques jours, un économiste chinois a confié aux médias avoir été surpris par les propos d'un gouverneur provincial, qui vantait les progrès accomplis dans sa région.

Ni l'environnement, ni la création d'emplois ou même les progrès sociaux ne figuraient dans le discours élogieux du politicien. Notre homme notait plutôt que les prêts consentis par les banques d'État de sa province supplantaient largement la moyenne nationale, pourtant déjà en forte hausse.

Son message, dirigé surtout à ses patrons à Pékin, peut se résumer ainsi: le crédit coule à flot, donc tout va bien, Madame la marquise.

Dans notre coin du monde, on parle beaucoup de l'envolée de la Bourse chinoise qui a bondi de 71% depuis le début de l'année, atteignant un niveau insoutenable, selon des analystes.

Mais une autre bulle, possiblement plus lourde de conséquences pour l'économie chinoise, est en train de prendre forme: une flambée du crédit bancaire.

Le spectre des créances douteuses

Les banques chinoises ont octroyé environ 7000 milliards de yuans (ou près de 1200 milliards CAN) de prêts au premier semestre 2009. C'est environ trois fois la somme du crédit accordé pendant tout 2008 et presque deux fois le budget du plan de relance annoncé par Pékin en novembre (700 milliards CAN), l'un des plus ambitieux de la planète.

Après les dégâts causés par la crise financière - fort recul de l'exportation, fermetures d'usines, etc. -, le gouvernement chinois a appelé ses banques publiques à ouvrir les vannes du crédit.

Objectifs: d'une part, financer les entreprises pour la réalisation des grands travaux d'infrastructures et, d'autre part, stimuler la consommation, surtout de produits locaux.

Une telle poussée, à première vue encourageante, ravive cependant le spectre des dettes de mauvaise qualité, qui avaient plombé les banques chinoises il y a quelques années. Pour l'instant, le taux de créances douteuses est de 2%, niveau relativement correct. «Mais attention, l'heure n'est pas encore aux remboursements», faisait remarquer récemment un responsable chargé de la réglementation des banques chinoises.

En effet, des experts redoutent beaucoup une hausse des défauts de paiement. D'autant plus que, sous la pression de Pékin, les banques chinoises se montrent moins exigeantes sur la solvabilité des emprunteurs.

«Créer une bulle pour soutenir l'économie apporte, au mieux, quelques bénéfices à court terme, mais surtout beaucoup de souffrance à long terme», prévient dans une note l'ancien économiste en chef de la banque Morgan Stanley, Andy Xie. Et si quelqu'un s'y connaît dans le domaine, ce sont bien les Américains...

Immobilier et Bourse

Le surplus de crédit, en plus de menacer la santé des banques, engendre divers problèmes sur le terrain. Cet argent mis à disposition nourrit notamment la spéculation.

Le généreux crédit chinois n'a pas toujours l'effet escompté. Selon le Development and Research Center, lié au gouvernement, environ 20% des prêts accordés depuis janvier ont atterri en Bourse ou dans l'immobilier en Chine.

Dans La Presse Affaires, on a d'ailleurs signalé la semaine dernière une flambée des prix de l'immobilier à Pékin. Des analystes préviennent que cette bulle est sur le point d'éclater.

De plus, les économistes craignent un phénomène de surproduction industrielle.

L'investissement dans l'industrie progresse à un taux de 40% par an en Chine. Tout cela accroît la capacité de production à un rythme excessif, compte tenu de la faiblesse des ventes des manufacturiers à l'étranger.

Or, dans un contexte favorable aux investissements, mais peu propice aux exportations, la crise de surproduction risque de s'aggraver avec le temps.

Évidemment, Pékin n'est pas pressé de mettre un frein au crédit, car on veut d'abord et avant tout requinquer l'économie chinoise. Entre-temps, à l'Ouest, on se réjouit à voir aller la grosse machine chinoise, qui contribue à tirer le reste de la planète hors du gouffre économique. Tant que ça tourne...

D'ailleurs, on apprenait jeudi que les ventes de voitures en Chine ont bondi de 48% en juin. Une bonne nouvelle. Surtout que les constructeurs européens et américains en profitent, les ventes de General Motors ayant grimpé de près de 40%.

Le crédit est le principal carburant du secteur automobile, en Chine comme ailleurs. Les banques prêtent, alors on roule. Il reste à savoir combien de temps les Chinois pourront continuer à faire le plein chez leur banquier.