Que le gouvernement du Québec veuille traîner Ottawa devant les tribunaux pour avoir empiété sur un champ de compétence provinciale avec son projet de commission des valeurs mobilières nationale, personne ne s'en étonnera. C'était dans l'air depuis quelques semaines.

Mais, que les ministres Raymond Bachand et Claude Béchard aient choisi de déterrer la hache de guerre hier, alors que Vincent Lacroix plaidait en faveur de sa libération conditionnelle au palais de justice de Montréal, à quelques rues de l'hôtel où se tenait la conférence de presse du gouvernement, est assez maladroit. Norbourg, c'est une longue cicatrice au visage de l'Autorité des marchés financiers du Québec.

Chaque fois que de nouveaux détails filtrent sur la façon dont l'Autorité a nonchalamment considéré les nombreux indices de malversations - notamment cet avertissement d'un enquêteur de la Banque Nationale qui avait constaté que Vincent Lacroix puisait dans les comptes de Norbourg - les boîtes de courriels et les blogues débordent de courriels fielleux. Nombreux sont les Québécois qui jugent qu'une commission nationale pourrait faire mieux pour protéger les petits investisseurs.

On a beau leur faire remarquer que la Securities&Exchange Commission des États-Unis a eu Bernard Madoff sous son nez pendant une quinzaine d'années ou que l'Autorité des marchés financiers a changé depuis août 2005, rien n'y fait.

Québec aurait pu porter à exécution sa menace de poursuite avant. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, a annoncé son projet de lancer une commission nationale à son dernier budget, en janvier. Puis, il a annoncé la création d'un «bureau de transition» le 22 juin, voilà plus de deux semaines...

Mais c'est seulement hier qu'est venue cette riposte qui a du être longuement soupesée. Est-ce pourquoi les ministres Bachand et Béchard n'avaient pas, à eux deux, le cinquième de l'indignation courroucée de Monique Jérôme-Forget? Raymond Bachand a d'ailleurs refusé de faire sien le fameux «over my dead body» que sa prédécesseur avait lancé. D'un ton dénué d'émotion, le nouveau ministre des Finances a plutôt évoqué ce «devoir de défendre les intérêts du Québec».

En fait, Claude Béchard a même entrouvert la porte à un règlement à l'amiable. Plus d'une fois, le nouveau ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes a évoqué les élections fédérales qui s'annoncent à l'automne prochain. Si les conservateurs, qui prétendent à un fédéralisme d'ouverture, ne veulent pas perdre toute crédibilité, ils auraient intérêt à revoir leur position, a-t-il suggéré. Mais penser que Jim Flaherty va abandonner le morceau, c'est à peu près aussi réaliste que d'espérer qu'un chien enragé lâche son os. La seule chose qui freinera Jim Flaherty, c'est une défaite des conservateurs aux prochaines élections.

Québec n'a peut-être pas intérêt à ce que la Cour d'appel du Québec et la Cour suprême du Canada se prononcent de façon définitive sur la compétence exclusive des provinces en matière de réglementation des valeurs mobilières. Malgré tout ce que Québec avance en citant un article de la Loi constitutionnelle de 1867, l'affaire n'est pas dans le sac.

Le comité d'experts présidé par Tom Hockin affirme avoir reçu des avis juridiques selon lesquels la réglementation financière n'est pas l'apanage des provinces, même si Ottawa leur a laissé le champ libre dans le passé. Le ministre des Finances aussi.

Si Québec devait perdre de façon définitive devant le plus haut tribunal du pays, cela porterait un coup très dur à la communauté financière de Montréal, qui souffre déjà de la vente de la Bourse de Montréal à la Bourse de Toronto. L'Autorité des marchés financiers ne s'est d'ailleurs pas illustrée dans ce dossier puisque les clauses qu'elle a négociées pour protéger le centre décisionnel de Montréal résistent mal à l'épreuve du temps...

Bref, le Québec joue très gros dans cette histoire. Est-ce que le gouvernement Charest aurait dû troquer son appui en faveur d'une commission nationale en échange d'un organisme ayant son siège social et son centre de décisions à Montréal? Pour le meilleur ou pour le pire, c'est la Cour suprême qui nous le dira.

De toute façon, au-delà de la légalité, il y a la légitimité des commissions provinciales. Les investisseurs québécois, aussi nationalistes soient-ils, ne défendront pas le Québec pour le Québec s'ils ont l'impression que la province devient le terrain de jeu de prédilection des arnaqueurs.

Le Québec et les autres provinces qui s'opposent à une commission nationale doivent encore convaincre les investisseurs petits et grands qu'ils sont bien protégés et que le système collaboratif du passeport fonctionne.

En vertu de ce système, une entreprise qui veut émettre des actions à la grandeur du pays n'a plus à cogner à toutes les portes. Depuis que la réglementation a été harmonisée, la commission de sa province fait office de guichet unique.

Ce système n'est pas plus coûteux pour les entreprises, ont conclu les chercheurs Jean-Marc Suret et Céline Carpentier dans une étude publiée en 2007. Le coût moyen d'une émission au Canada, de 33 600$, est largement inférieur à celui d'une émission aux États-Unis (324 000$) ou en Australie (123 000$).

Il reste qu'il est parfois difficile de faire évoluer la réglementation en négociant à 13. Tout récemment, par exemple, les autorités provinciales n'ont pu s'entendre sur la pertinence d'imposer un vote consultatif sur la rémunération des hauts dirigeants des entreprises en Bourse, alors que le Royaume-Uni et l'Australie l'exigent et que les États-Unis sont sur le point de le faire.

Mais, ce qui intéresse davantage monsieur et madame Tout-le-Monde, c'est de savoir si les investisseurs seront mieux protégés contre les Vincent Lacroix et autres filous de la finance. Or, la protection des investisseurs a bien peu à voir avec la structure.

Cela dépend beaucoup plus des ressources qui sont accordées aux inspections et aux enquêtes, de la promptitude à réagir et surtout de la volonté manifeste et à tous les échelons de ne rien laisser passer. Régulateur national ou provincial, c'est lorsque les autorités dorment au gaz que les petites arnaques deviennent de grandes escroqueries.

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