Si vous avez perdu de l'argent en investissant dans l'un des fonds Norbourg, il vaut peut-être mieux que vous ne lisiez pas ceci. Parce que les informations qui viennent d'être rendues publiques dans le cadre du recours collectif intenté au nom des 9200 investisseurs floués ont de quoi faire trépasser les coeurs sensibles.

On savait déjà que l'Autorité des marchés financiers (AMF) avait ignoré certains signaux louches dans les mois qui ont précédé les perquisitions policières dans les bureaux de Norbourg, en août 2005. Mais on ignorait qu'un enquêteur de la Banque Nationale avait alerté l'AMF dès avril 2004 au sujet d'un détournement de fonds de 2 millions de dollars au profit de Vincent Lacroix. Or, plutôt que d'agir, l'Autorité s'est pratiquement assise sur cette information.

 

Depuis l'éclatement de l'affaire Norbourg, tous les observateurs s'interrogent sur l'aveuglement de l'Autorité. Pourquoi ne s'était-elle pas intéressée de plus près à la croissance suspecte de Norbourg, qui achetait firme sur firme sans qu'on sache d'où provenaient les fonds?

Or, il appert que l'ancien directeur de la conformité de l'Autorité - qui portait à l'époque le nom de Commission des valeurs mobilières du Québec - a eu des doutes dès 2001 au sujet de Norbourg, tandis que cette firme envisageait l'acquisition du courtier Maxima Capital.

À l'automne de 2002, Jean Lorrain a réclamé la tenue d'une inspection formelle de la firme fondée par Vincent Lacroix. Cette inspection a mis au jour des informations troublantes.

Norbourg était incapable de produire des copies imprimées de ses états de compte chez le gardien de valeurs Northern Trust, contrairement à la pratique établie dans l'industrie. Et Vincent Lacroix trichait vraisemblablement le fisc sur ses frais de représentation.

Alarmé, Jean Lorrain a ordonné le déclenchement d'une enquête. Mais, celle-ci ne s'ouvrira que 22 mois plus tard, soit en octobre 2004.

Entre-temps, Jean Lorrain a été muté à un autre poste et le dossier Norbourg est tombé dans les limbes, selon les avocats de la poursuite, qui ont reconstitué le fil des événements après avoir interviewé toutes les personnes associées au dossier.

Le successeur de Jean Lorrain à la conformité est Pierre Bettez, enquêteur de la Sûreté du Québec qui est prêté à l'Autorité. À son arrivée, il ignore que son prédécesseur a demandé l'ouverture d'une enquête sur Norbourg, requête qui s'est apparemment perdue dans un dédale administratif.

Mais il ne peut pas ignorer la gravité de l'information que lui communique Michel Carlos en avril 2004. Cet ancien policier à l'emploi de la Banque Nationale est chargé de détecter les transactions frauduleuses et les opérations de blanchiment d'argent.

Un mois plus tôt, il a découvert que Vincent Lacroix a détourné 2 millions de dollars d'un compte de Norbourg à la caisse populaire de La Prairie à son compte personnel à la Banque Nationale, au moyen de faux transferts électroniques.

Michel Carlos prend l'initiative d'appeler Pierre Bettez parce que les deux hommes se connaissent. L'enquêteur de la Nationale l'informe, en outre, qu'il transmettra son dossier au Centre d'analyse des opérations et des déclarations financières du Canada (CANAFE), ce qu'il fera en juin. Cette agence fédérale a pour mission de surveiller les transactions financières pour contrer le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes.

En réaction, Pierre Bettez alerte l'escouade des crimes économiques de la Sûreté du Québec (SQ), puisqu'il est déjà d'avis que Vincent Lacroix «est un bandit», selon ce qu'il a affirmé lors de son interrogatoire, en novembre 2008. Mais il n'informe personne d'autre à l'Autorité, qui a pourtant les pleins pouvoirs, comme son nom l'indique, pour intervenir et discipliner les intermédiaires du marché. L'avertissement de l'enquêteur de la Nationale reste donc sans suite.

Entre cet avertissement et les perquisitions qui ont sonné le glas de Norbourg, en août 2005, Vincent Lacroix aurait puisé 63 millions de plus dans les comptes des investisseurs de Norbourg, prétendent les avocats qui ont intenté le recours collectif. C'est plus de la moitié des retraits frauduleux de 115 millions de dollars qui ont été recensés entre 2002 et 2005.

L'Autorité aurait eu une autre chance de se ressaisir. À la suite de la dénonciation de Michel Carlos, le CANAFE produit son propre rapport sur ce qui a toutes les apparences de détournements de fonds chez Norbourg. Cette agence fédérale l'envoie à l'officier de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui dirige la nouvelle équipe intégrée de la police des marchés financiers, composée d'agents de la GRC et de la SQ.

C'est ainsi que le rapport du CANAFE aboutit sur le bureau de Pierre Bettez qui, entre-temps, est revenu à la SQ. Pierre Bettez l'envoie par télécopieur en avril 2005 à Claire Lewis, directrice des enquêtes et du contentieux à l'Autorité. Celle-ci n'en a aucun souvenir, même si une copie du rapport a été retrouvée dans son bureau après qu'elle eut quitté ses fonctions, en juillet 2005.

«Le rapport n'a pas été analysé sur-le-champ. Un fax qui entre chez nous, quelqu'un prend cela, met cela là. C'est ce qui c'est passé, je ne vous le cache pas», expliquait Jean St-Gelais, PDG de l'Autorité, dans une entrevue accordée à La Presse en décembre 2005.

Quoi dire de plus... Je pourrais déchirer ma chemise, gueuler sur tous les toits. Mais très franchement, ces faits accablants en disent plus long sur l'incurie qui régnait à la CVMQ et à l'Autorité à l'époque que je ne saurais jamais l'écrire. En un mot comme en mille, c'est révoltant.