C'était la journée de Bernard Madoff. Pourtant, à lire les réactions des internautes sur sa sentence de 150 ans de prison, vous n'en avez que pour Vincent Lacroix.

Comment se fait-il que notre filou national n'ait reçu qu'une peine de 12 ans moins un jour de prison? Et qu'il purgera seulement le sixième de sa sentence, que la Cour supérieure a écourtée à huit années et demie! Vincent Lacroix ne recouvrera-t-il pas la liberté en 2010, alors que Bernard Madoff mourra en prison, puisqu'il n'a aucune possibilité de libération avant 127 ans et six mois?

 

Qu'on envoie Vincent Lacroix se faire juger aux États-Unis ou qu'on invite le juge américain Denny Chin au pays, avez-vous écrit à chaud.

Loin de moi l'idée de défendre l'Autorité des marchés financiers ou la Gendarmerie royale du Canada dans le dossier Norbourg ou celui de Mount Real, pour prendre un dossier moins médiatisé mais encore plus navrant, puisque les pertes des 1600 victimes totalisent 130 millions de dollars! Comme je l'ai souvent écrit, l'Autorité a ignoré des signaux troublants et la GRC a mis un temps fou avant de monter son dossier.

Mais, disons que l'éloge du système de justice américain est un peu surfait. Le gazon n'est pas beaucoup plus vert à New York.

Ce qui frappe dans la sentence de Bernard Madoff, l'auteur de la plus grande supercherie financière des temps modernes, c'est sa gravité.

(Ce n'est pas la sentence la plus sévère pour un financier américain, soit dit en passant. Un juge de Floride a condamné le New-Yorkais Sholam Weiss à 845 années de prison pour avoir dérobé 125 millions US dans l'effondrement de la société National Heritage Life Insurance!)

En comparaison, les 12 années de prison de Vincent Lacroix ne pèsent pas lourd dans la balance de la justice. Mais il faut voir que le procès au criminel du fondateur de Norbourg n'a même pas commencé. À moins d'une surprise, l'affaire s'ouvrira en septembre. Vincent Lacroix fait toujours face à 200 accusations de fraude, de blanchiment d'argent et de fabrication de faux. Tout jugement sur les justices américaine et canadienne est donc prématuré.

En fait, la sentence que Vincent Lacroix a reçue au terme du procès intenté par l'Autorité des marchés financiers est d'une sévérité sans égal pour une affaire pénale. En effet, Vincent Lacroix était accusé en vertu de la loi québécoise sur les valeurs mobilières, qui fixe la sentence maximale à cinq ans moins un jour. Que les peines de Vincent Lacroix soient purgées de façon consécutive, et que celles-ci excèdent largement cinq ans, même après la révision de la Cour supérieure, cela tient de l'exploit.

Il est vrai qu'au Canada, les détenus qui ne sont pas reconnus coupables de crimes violents peuvent jouir d'une libération conditionnelle après avoir purgé le sixième de leur sentence. Mais, ce n'est pas le propre des fraudeurs à cravate. Cela vaut pour tous les criminels au pays.

Veut-on investir pour construire des prisons afin que les détenus purgent la quasi-totalité de leur sentence, sans possibilité de sortie anticipée? On touche ici à un débat plus vaste où interviennent des questions de réhabilitation et de finances publiques.

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Là où les critiques font mouche, c'est sur la lenteur du système canadien. En raison du manque de ressources spécialisées et de la faible priorité qui était accordée jusqu'à tout récemment aux crimes économiques, ces dossiers attendent beaucoup trop longtemps avant d'aboutir sur des accusations et sur des procès.

C'est d'autant plus vrai que la preuve est extrêmement complexe à monter. Il faut remonter le fil des transactions illicites et établir leur cheminement entre toutes les sociétés apparentées et leurs comptes bancaires. Ceux qui ont couvert le procès de Vincent Lacroix se souviennent très bien de «la pieuvre», un immense tableau qui avait toutes les allures d'un panneau électrique.

Dans le cas de Bernard Madoff, la justice a progressé rondement parce que le courtier déchu de New York a choisi de plaider coupable, en mars, aux 11 chefs d'accusation de fraude, de blanchiment d'argent et de parjure qui pesaient contre lui. Les procureurs du gouvernement n'ont donc pas eu à faire une fastidieuse démonstration portant sur des transactions qui remontaient 15 ans en arrière.

On touche d'ailleurs là au coeur du problème. La Securities&Exchange Commission aura mis une quinzaine d'années avant de déceler cette gigantesque escroquerie. Et cela, en dépit de plusieurs dénonciations.

En comparaison, l'Autorité des marchés financiers a mis un terme plus rapidement au stratagème de Vincent Lacroix et de ses acolytes, même si elle aurait pu mettre le holà à Norbourg des mois auparavant. Dans tous les cas, c'était bien avant que cette lamentable fraude de 115 millions de dollars n'atteigne les proportions démesurées de celle commise par Bernard Madoff.

Ses investisseurs américains croyaient détenir des portefeuilles de près de 65 milliards de dollars. Mais Bernard Madoff n'achetait même pas d'actions, ou si peu! Le syndic au dossier estime à 13,2 milliards de dollars la perte nette des investisseurs depuis 1995.

Jusqu'à présent, il a seulement récupéré 1,2 milliard de dollars. Où le reste de cet argent est-il passé? La justice américaine n'en a pas encore la moindre idée.

Bref, Lacroix pourrait passer pour Averell Dalton aux côtés de Madoff, le vrai Joe Dalton.

Avec la réforme de la réglementation des institutions financières, récemment dévoilée, l'administration Obama compte colmater les brèches qui ont permis à Bernard Madoff de se faufiler. Mais, d'ici à ce que cette réforme entre en vigueur, on ne peut pas dire que la justice américaine soit nettement plus futée.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca