C'est la petite surprise d'une assemblée des actionnaires sans grande histoire. Pierre Beaudoin, président et chef de la direction de Bombardier (t.bbd.b), s'est montré ouvert hier à ce que les actionnaires de l'entreprise montréalaise puissent éventuellement se prononcer sur la rémunération de la haute direction.

Pas lors de l'assemblée, au cours de laquelle la proposition sur un vote consultatif du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) a mordu la poussière de façon tout à fait prévisible. Mais à la toute fin d'un point de presse, alors que Pierre Beaudoin se frayait un chemin pour se rendre à la réunion du conseil.

«On va essayer de mieux comprendre comment cela va être mis en application (ailleurs au Canada), a-t-il dit. On ne ferme pas nécessairement la porte, même si on pense que le processus qu'on utilise aujourd'hui est bon.

«S'il y a une autre méthode qui peut satisfaire tout le monde dans le futur, a-t-il poursuivi, bien, on va la regarder.»

Cette petite ouverture à la tenue d'un vote consultatif peut surprendre, compte tenu de l'opposition sans équivoque à une consultation sur la rémunération des cinq plus hauts salariés de Bombardier exprimée dans la circulaire de sollicitation des procurations.

«Le conseil d'administration croit fermement que la proposition du MEDAC restreint sa flexibilité et sa capacité de fournir (...) des programmes de rémunération concurrentiels afin d'attirer, de retenir et de récompenser les membres de la haute direction les plus qualifiés et talentueux dont la contribution est nécessaire pour soutenir la rentabilité de Bombardier.»

Mais cet adoucissement s'explique peut-être par le résultat du vote d'hier. Des quatre propositions soumises par le MEDAC, c'est celle sur le vote consultatif qui a recueilli le plus d'appuis, avec près de 13% des votes des actionnaires.

Cet appui peut sembler timide à première vue, mais il est plus important qu'il n'y paraît, compte tenu de la grande emprise de la famille Bombardier-Beaudoin sur l'entreprise.

La famille contrôle Bombardier au moyen de ses actions de catégorie A, qui comportent 10 votes chacune. Ces actions sont presque toutes détenues par les descendants de Joseph-Armand Bombardier et quelques proches (amis, employés clés, administrateurs), selon le relevé de l'agence Bloomberg. Or, les actions de catégorie A représentent 68,8% des droits de vote sur tous les titres en circulation (au 31 janvier dernier).

Ainsi, les actions de catégorie B, celles que peuvent acheter monsieur et madame Tout-le-monde, ne pèsent pas lourd. Elles représentent seulement 31,2% des votes.

Comme il est hautement improbable qu'un membre de la famille Bombardier/Beaudoin ou qu'un dirigeant de l'entreprise ait ignoré les directives du conseil d'administration, il faut plutôt considérer l'appui envers le vote consultatif en proportion des actions de catégorie B. Or, cet appui équivaut à 41,6% de ces actions.

Clairement, les actionnaires «ordinaires» de Bombardier veulent avoir un mot à dire, même si les administrateurs de l'entreprise devaient ignorer leur opinion.

D'ailleurs, il est assez ironique qu'au Royaume-Uni et en Australie, là où les entreprises à capital ouvert sont tenues de sonder leurs actionnaires sur leurs rémunérations depuis quelques années déjà, une opposition de l'ordre de 40% suffise généralement à faire revenir une entreprise sur sa décision...

Mais, les entreprises n'attendent habituellement pas de recevoir une petite gifle en public. Ils discutent avec leurs actionnaires avant de se présenter devant eux avec des rémunérations qui pourraient choquer, question de parer les coups. Un dialogue intéressant qui permet de dissiper les malentendus.

Le vote consultatif n'a pas freiné la spirale inflationniste des salaires et des primes, selon des chercheurs qui ont étudié l'expérience britannique. Mais, il a coupé court aux excès les plus choquants, notamment les primes de départ qui récompensaient généreusement les échecs. En ce sens, il permet un tout petit rééquilibrage des forces.

Les opposants au vote consultatif font valoir que la rémunération représente une question trop «complexe, technique et circonstanciée» pour être appréciée de façon juste par les petits actionnaires. «Un tel exercice ne ferait que créer une confusion inutile», juge le conseil de Bombardier.

Mais, c'est faire montre d'un certain mépris envers les actionnaires, qui sont de plus en plus sophistiqués dans leur compréhension des enjeux d'affaires. Et puis, si c'est si difficile à comprendre, c'est peut-être que les entreprises adoptent des politiques de rémunération trop complexes au départ. Ou que ces mêmes politiques sont tellement mal expliquées que même des personnes informées peinent à les déchiffrer. Ce qui revient du pareil au même!

De toute façon, le temps est, à l'évidence, en train de faire son oeuvre. Quand 12 des plus grandes entreprises du pays donnent l'exemple, dont toutes les grandes banques et BCE, cela devient plus gênant de s'inscrire en faux. En ce sens, l'influence des pairs à la chambre de commerce peut devenir tout aussi redoutable que celle qui opère dans une cour d'école.

C'est d'autant plus vrai que les États-Unis sont sur le point d'emboîter le pas au Royaume-Uni et à l'Australie, le vote consultatif étant l'un des dadas de Barack Obama.

Qui voudra être perçu comme le dernier de la classe en bonne gouvernance? À l'usure, le vote consultatif s'enracinera.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca