En offrant son assistance à un éventuel acheteur québécois du Canadien, le gouvernement de Jean Charest s'est emmêlé dans les lacets de ses patins.

À l'évidence, les libéraux n'ont pas voulu paraître insensibles au sort du Tricolore, d'autant plus qu'ils sont en chute libre dans les sondages. Même lorsque les joueurs traînent les pieds sur la patinoire, les Québécois vouent un culte à l'équipe.

 

En plus, la Caisse de dépôt et placement du Québec aurait créé un précédent, selon certains, en prêtant 140 millions de dollars à George Gillett en 2001. C'est grâce à ce prêt - complètement remboursé en 2006 - que cet Américain a acquis 80,1% de l'équipe de hockey et la totalité du Centre Bell, pour la somme de 275 millions de dollars.

Toutefois, la seule raison valable d'aider le futur acquéreur du Canadien serait d'empêcher le départ de l'équipe de Montréal. Sauf que ce scénario qui rappelle l'exode des Expos est complètement improbable.

De un, aucun acheteur ne serait assez insensé pour vouloir déménager l'équipe, dont la valeur tient à ses fans inconditionnels. Et cela, qu'il soit américain ou qu'il vienne des îles Mouk-Mouk.

De deux, même à supposer que des gens d'affaires soient assez fous pour tenter pareille manoeuvre, ils se heurteraient à l'opposition du conseil des gouverneurs de la Ligue nationale de hockey. La LNH ne pourrait cautionner pareille transaction, à plus forte raison quand l'équipe la plus titrée du hockey célèbre son centenaire.

En fait, en offrant son aide à un acheteur québécois, le gouvernement vient plutôt au secours de George Gillett, qui aura beau jeu de regarder les enchères monter grâce au financement offert par les contribuables. Il ne faut jamais perdre de vue que, dans cette histoire, c'est cet homme d'affaires américain qui a besoin de fric, et vite en plus.

«Si le gouvernement du Québec offre un soutien, ce sera un soutien général à tous ceux qui manifestent leur intérêt pour l'achat de l'équipe», a déclaré le ministre des Finances, Raymond Bachand.

Le nouvel argentier du Québec a le souci d'équité du professeur d'école qui ne veut favoriser aucun élève, en public du moins. Sauf que, dans la vie, tous les acheteurs d'équipe de hockey ne sont pas égaux. Il y a les bons et il y a les cancres. Est-ce que les contribuables devraient financer le consortium qui a eu l'irresponsabilité de faire l'offre la plus généreuse, au risque d'avoir des ennuis financiers par la suite?

Ensuite, il faut voir par qui passera cette aide. Le ministre Bachand a évoqué la Caisse de dépôt et placement du Québec, de même que la Société générale de financement (SGF). Mais ce n'est pas blanc bonnet et bonnet blanc.

Investir dans le Canadien ou financer son acquéreur ne cadre pas du tout avec la mission de la SGF, qui vise à inciter des investisseurs étrangers à s'établir au Québec, à créer de l'emploi ou à accélérer la croissance d'entreprises performantes. Mais au moins, la SGF est le bras investisseur du gouvernement. En ce sens, ses décisions sont le reflet de la volonté politique des libéraux au pouvoir.

En revanche, si c'est la Caisse qui finance pareille transaction, elle risque d'entacher encore plus sa crédibilité, minée par la nomination téléguidée de Michael Sabia. Ce n'est pas en obéissant à une commande directe du gouvernement que la Caisse restaurera un semblant d'indépendance du politique.

Qui plus est, la Caisse est juge et partie dans ce dossier, par l'entremise de sa participation de 45,3% dans Quebecor Media. Cette filiale est presque synonyme de Quebecor depuis que le conglomérat contrôlé par la famille Péladeau s'est délesté de ses imprimeries.

Or, Quebecor ne fait aucun secret, dans ses médias, de son vif intérêt pour le Tricolore et le Centre Bell (même si celui-ci porte le nom de son plus grand concurrent en télécoms!). Du point de vue des affaires, c'est un mariage quasi parfait.

Dès la fin du contrat qui lie le Canadien à RDS, propriété de CTVglobemedia, TVA pourrait lancer une nouvelle chaîne sportive spécialisée. Celle-ci pourrait d'ailleurs prendre comme modèle ou avoir comme chaîne soeur une sorte de Leafs TV, du nom de l'équipe de hockey torontoise.

On imagine aussi sans aucun mal que les fans du CH pourraient visionner les meilleurs moments des matchs sur leur sans-fil de Vidéotron. Ou que les magazines, les journaux et les sites internet de Quebecor offriraient des entrevues exclusives des vedettes se produisant au Centre Bell. En fait, les Québécois auraient droit à une orgie de promotion croisée.

Ainsi, pour valoriser son investissement, la Caisse a tout intérêt à ce que Quebecor mette la main sur le Canadien et son amphithéâtre très fréquenté, si tant est que cette transaction ne soit pas trop onéreuse.

La Caisse doit même obligatoirement donner son accord à pareille transaction, en vertu de la convention d'actionnaires que les deux partenaires ont conclue en 2000. La Caisse doit approuver toute transaction supérieure à 75 millions de dollars, de même toute acquisition dans un secteur éloigné des activités traditionnelles de Quebecor Media.

Pour ce faire, la Caisse pourrait toujours faire valoir que la caisse de retraite ontarienne Teachers', à qui elle est toujours comparée, détient 58% de Maple Leaf Sports&Entertainment!

Dans le contexte, la Caisse de dépôt ne sera jamais neutre. Elle se trouvera en conflit d'intérêts lorsque viendra le temps d'examiner les propositions rivales des consortiums qui souhaitent mettre la main sur le CH.

Bref, en promettant d'aider des gens d'affaires d'ici à racheter le Canadien, Québec a été beaucoup trop vite sur ses patins.

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