Comme la crise financière a fait fondre leurs avoirs, les Américains ne consomment plus comme avant. La gloutonnerie fait place à la modération. Qui donc va relancer l'économie mondiale? Sûrement pas les Chinois, répond un expert.

Durant les années 30, au pire de la Grande Dépression, le réputé économiste John Maynard Keynes a senti le besoin de se faire «preacher». À la radio, il sermonnait régulièrement les Américains, les implorant d'aller acheter quelque chose afin de relancer l'économie.

 

Mais il a fallu des années (et le New Deal de Roosevelt) pour que son message atteigne la cible...

On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif. C'est encore vrai aujourd'hui: les meilleurs plans de relance économique du monde risquent de se heurter à cette réalité.

Aux États-Unis, tout laisse croire que les consommateurs modifient rapidement leurs habitudes.

Dans une étude, la banque Citigroup croit qu'on assiste à la naissance d'une «consommation réfléchie» au pays de l'excès, axée sur des achats plus sélectifs à l'opposé de la consommation frénétique de la dernière décennie.

Un sondage du groupe publicitaire Euro RSCG, réalisé aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni, fait un constat similaire et parle d'une forme de «simplicité volontaire» qui s'installe en Occident.

Économes

La récession est encore jeune et il est encore tôt pour mesurer l'importance de ce phénomène. Les experts prévoient d'ailleurs que les ventes au détail ont grimpé légèrement en mars (les résultats seront connus aujourd'hui). Il reste que la tendance générale demeure inquiétante.

Mercredi, la Réserve fédérale révélait que l'encours des crédits à la consommation a rechuté en février, cédant 3,5% en rythme annuel. L'ampleur de cette baisse a surpris les analystes, qui s'attendaient à un recul deux fois moindre.

Le crédit est important pour l'économie américaine dans la mesure où il alimente le commerce de détail, moteur traditionnel de la croissance.

En accordant une large place aux baisses d'impôts, le plan de relance de Barack Obama vise justement à relancer la consommation. Or, les Américains ont la tête ailleurs et ne pensent qu'à une chose: épargner.

Le taux d'épargne, qui était de 0% en 2007, est remonté à près de 5% en février. Sur un mois, ce sont 700 milliards US qui manquent pour faire tourner les usines aux États-Unis, mais aussi en Chine, en Inde et en Europe.

Et ce n'est pas tout. Au terme de la récession, les Américains voudraient mettre de côté 14% de leurs revenus nets, renchérit un sondage AlixPartners, soit trois fois le taux d'épargne actuel.

Aussi la firme JP Morgan prédit maintenant que les dépenses des Américains vont croître de 2 à 2,5% par an durant les prochaines années. C'est un taux respectable. Mais on est loin de la moyenne annuelle de 3,5% observée durant la période 1997-2007.

La consommation - qui contribue pour les deux tiers (voire plus de 70% aux États-Unis) à la demande globale - est pourtant essentielle à l'activité économique.

La Chine à la rescousse?

Qui donc va prendre le relais des Américains?

Plusieurs misent sur la Chine car diverses mesures de son plan de relance visent à stimuler la demande intérieure.

Mais on attend trop des Chinois. Et ce, pour au moins trois raisons, affirme l'économiste Nicholas Lardy, de l'Institut Peterson à Washington, dans une analyse diffusée sur le site web du Financial Times.

En premier lieu, dit-il, les Chinois ont assisté au fil des ans à l'abandon de la gratuité dans les secteurs de la santé et de l'éducation. C'était le prix du passage à une économie de marché. Pékin s'est ravisé et promet de tisser un nouveau filet de sécurité social. Mais il faudra des années avant que la confiance revienne et que la population croit que l'État va s'occuper d'elle.

Deuxièmement, seulement 150 millions de Chinois - sur une population de 1,3 milliard - sont considérés comme des consommateurs sérieux. Et encore là, le revenu médian de ces «favorisés» est de 6000$US par an comparativement à 45 000$US pour les Américains.

Dernier facteur: M. Lardy soutient que la montée de la consommation chinoise a été alimentée par la hausse des revenus, elle-même nourrie par les achats des étrangers. Or, avec la récession qui s'installe dans le reste du monde, l'époque d'une croissance «dans les deux chiffres» en Chine est peut-être révolue, selon lui.

Entre-temps, les Américains sont à bout de souffle et semblent tétanisés par la récession. Ils ne sont pas les seuls.

Malgré le crédit bon marché, les congés fiscaux et tous les bonbons qu'on leur offre, il arrive que les consommateurs même les plus gourmands se rebiffent. Reste à savoir pour combien de temps.