Depuis que George Gillett a officiellement mis en vente le Canadien de Montréal, de nombreuses voix s'élèvent pour corriger ce qu'on décrit aujourd'hui comme une erreur gravissime de l'Histoire: la vente en 2001 du Tricolore à des intérêts étrangers.

Mes réputés collègues aux sports - et je le dis sans aucune trace d'ironie - ne sont pas en reste. Jean-François Bégin a évoqué cette semaine cette «deuxième chance du Québec inc.».

 

«Ayant manqué le bateau la dernière fois que le Canadien a été vendu, écrit-il, les grands bonzes de l'économie québécoise réussiront-ils à mettre la main sur le joyau du patrimoine sportif du Québec?»

Quant à Réjean Tremblay, il a livré un plaidoyer sans équivoque. «Le Canadien doit revenir dans le giron québécois ou canadien pour qu'on puisse lui redonner sa place dans le ho-ckey québécois», plaide-t-il.

«Ce serait quand même impardonnable que le Canadien se retrouve une autre fois dans des mains étrangères, ajoute-t-il. On a laissé faire une fois, c'était déjà une fois de trop.»

Que le Canadien de Montréal revienne aux mains d'intérêts québécois, alors que le Tricolore fête son centenaire, cela tient du conte de fées. Surtout si par québécois on entend francophone, comme plusieurs le sous-entendent sans l'affirmer tout haut.

Ce serait, ai-je même entendu, une belle revanche sur les propriétaires d'équipe qui ont profité pendant des décennies des fans et des joueurs-vedettes francophones. Ce qui est mal connaître son histoire, puisque les joueurs anglophones étaient tout aussi exploités par des propriétaires. Et que l'équipe a déjà appartenu à des Québécois francophones, notamment le sénateur Donat Raymond (1935-1957).

Si le Canadien appartenait à des intérêts québécois, raisonne-t-on, les dizaines de millions en profit ne partiraient pas de Montréal à Denver.

Il est vrai que, dans un monde idéal, on aimerait bien que tous les profits restent au Québec, et pas seulement ceux sur les jerseys du CH ou sur les billets du Centre Bell. Ceux sur l'eau Naya. Ceux sur le papier d'aluminium Alcan. Ceux sur la peinture Sico. Ceux sur le café Van Houtte. Ceux sur les slips de La Senza... Mais bon, que voulez-vous, le Québec ne vit pas en autarcie!

Dans cette histoire, on fait trop de cas de la nationalité du propriétaire du Tricolore. Les Américains, les Européens et les autres ne feraient pas forcément de mauvais proprios parce qu'ils n'ont pas glissé sur des crazy carpets quand ils étaient petits. Et les Québécois ne sont pas forcément de grands propriétaires de franchise de hockey parce qu'ils ont grandi en écoutant René Lecavalier décrire les matchs du Canadien les samedis soirs.

Qui a vendu les Nordiques de Québec, à fort profit, à une entreprise américaine qui l'a ensuite déménagée à Denver? Ce ne sont pas de méchants Américains!

Outre l'avocat Marcel Aubut, qui présidait les destinées de l'équipe, les Nordiques appartenaient au Fonds de solidarité FTQ, à la société papetière Daishowa, à la Mutuelle des fonctionnaires, à la chaîne d'épiceries Metro et à Marcel Dutil, le fondateur de Canam-Manac, aujourd'hui Groupe Canam.

À l'exception de la papetière Daishowa, de propriété japonaise, ces actionnaires étaient donc tous de dignes représentants du Québec inc. Actionnaires qui ont repoussé gentiment l'offre d'aide financière du gouvernement de Jacques Parizeau.

Qui s'est laissé emberlificoter par un marchand d'art new-yorkais et son beau-fils, qui ont filé avec les Expos à Washington? Un groupe d'homme d'affaires bien en vue qui s'est disloqué et qui a hésité à cracher les capitaux réclamés, au moment venu. Parmi eux, Jacques Ménard (celui qui est aujourd'hui mandaté par George Gillett pour vendre le Canadien), Raymond Bachand (nouveau ministre des Finances), Paul Delage Roberge, Pierre Michaud, Stephen Bronfman, Jean Coutu, Jocelyn Proteau, entre autres.

À l'inverse, les Américains qui possèdent nos équipes sont-ils de si mauvais propriétaires? Bob Wetenhall, un fan fini de football - il a déjà été propriétaire des Patriots de la Nouvelle-Angleterre -, a fait renaître les Alouettes en 1997, après que l'équipe eut déclaré faillite. Ce résidant de la Floride qui a fait carrière en finance à New York vient d'ailleurs de commander des travaux de 30 millions pour agrandir le stade Percival-Molson.

Et que dire de George Gillett? Certes, c'est un homme d'affaires casse-cou qui a les yeux plus grands que la panse. Il n'empêche qu'il a rentabilisé une équipe qui vivotait et un centre Bell dont tout le monde doutait. Aujourd'hui, les parties de hockey et les spectacles font presque tous salle comble. Ainsi, George Gillett et son lieutenant Pierre Boivin ont multiplié par sept les profits des activités montréalaises, à 56 millions de dollars, si les chiffres qui circulent sont exacts.

Surtout, le tandem Gillett-Boivin a su créer un réel engouement pour le Tricolore. Avez-vous vu le nombre de voitures qui sont décorées d'un fanion du CH? Dément.

Pour l'avenir du Canadien, la seule chose qui compte, c'est que le prochain propriétaire du Canadien ait le hockey et les fans du Tricolore à coeur. Qu'il sache s'entourer des meilleurs, des coachs aux joueurs en passant par les physiothérapeutes et les recruteurs. Et qu'il gère son entreprise de façon serrée.

On n'a pas besoin d'être Québécois pour savoir qu'il faut garder le Tricolore à Montréal, où se trouvent ses partisans indéfectibles, même quand l'équipe joue archimal. Ou de rajouter six fleurs de lys au chandail des joueurs, comme les Nordiques l'avaient fait à une époque révolue.

Déménager l'équipe serait une décision d'affaires insensée. En ce sens, le Canadien appartient pour toujours aux Montréalais.