Monique Jérôme-Forget a longtemps raillé les politiciens, trop souvent atteints du «syndrome de la pépine», pour reprendre l'une de ses expressions fétiches qui ont marqué l'imagination populaire. Mais cette femme qui est entrée au gouvernement du Québec comme un bulldozer, «pour changer les choses», comme elle le disait elle-même, a paradoxalement laissé son premier chantier inachevé.

Monique Jérôme-Forget ambitionnait de revoir de fond en comble l'organisation de l'État. Tout comme elle a embrassé les impopulaires PPP. Deux ambitions qui ont fait dire au premier ministre Jean Charest que le Québec connaîtrait une nouvelle Révolution tranquille.

 

Mais ce n'est pas pour la «réingénierie» de l'État que l'on se souviendra de Monique Jérôme-Forget en politique, même si Québec a élagué certaines agences et qu'il ne remplace plus tous les fonctionnaires qui partent à la retraite.

La ministre des Finances, psychologue de formation, laisse véritablement sa marque avec la mise en application de l'équité salariale. Le gouvernement avait adopté cette loi ambitieuse en 1996. Mais il aura fallu plus de 10 ans avant que les 360 000 syndiquées de la fonction publique et du secteur parapublic reçoivent un chèque.

Avant d'arriver là, il a fallu évaluer 350 emplois en fonction de 17 paramètres!

Et surtout, trouver l'argent pour corriger cette vieille iniquité. La facture s'élevait à 1,7 milliard de dollars uniquement en paiements rétroactifs. Monique Jérôme-Forget n'aurait pas pu y arriver sans contenir un tant soit peu les dépenses du gouvernement et tenir tête aux dirigeants syndicaux lors du renouvellement des contrats de travail.

«Juste pour cela, cela valait la peine d'entrer en politique», a dit hier cette femme de 68 ans, visiblement émue de rompre avec la politique, même si son départ est planifié de longue date.

Les controverses entourant la Caisse de dépôt et placement du Québec et l'état des finances publiques ont toutefois éclipsé ses réalisations ces derniers mois, comme sa défense de l'industrie financière du Québec. Elles collent à ses talons hauts comme de vieux chewing-gums.

Difficile de pardonner à Monique Jérôme-Forget d'avoir minimisé tout l'automne les problèmes et les dérives de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Difficile d'avoir de l'empathie pour une ministre des Finances qui portait des lunettes si roses qu'elle n'avait plus aucune marge de manoeuvre pour affronter une récession plus brutale que prévu.

En même temps, Monique Jérôme-Forget a fait les frais politiques des décisions prises par le premier ministre Jean Charest et son entourage. Ce n'est pas elle qui a décidé du déclenchement hâtif des élections, l'automne dernier. Ce n'est pas elle qui a choisi Michael Sabia comme président de Caisse de dépôt. En ce sens, la chef péquiste, Pauline Marois, a raison de noter qu'elle a servi de «paratonnerre» au gouvernement libéral.

Paradoxalement, cette femme qui pouvait se montrer si cinglante, même envers ses collègues ministériels, est restée bonne soldate jusqu'à la fin.

C'est Raymond Bachand qui endosse maintenant le rôle de ministre des Finances. Moins flamboyant, moins bouillonnant, moins rugueux, il semblait flotter hier dans les vêtements du grand argentier du Québec.

Monique Jérôme-Forget se retire dans sa villa au Mexique, où elle compte se consacrer presque à temps plein à ses cours d'espagnol. Mais les crises qui ont marqué ces derniers mois ne s'envoleront pas pour autant.

Raymond Bachand a échappé à la controverse au Développement économique, à l'exception notable du cafouillage lors de l'attribution du contrat de remplacement des voitures du métro de Montréal, marqué par des retards et des dépassements de coûts. Il s'est même bien tiré d'affaire en modernisant la loi sur les heures d'ouverture, un dossier casse-gueule.

Mais aux Finances, Raymond Bachand va rapidement se trouver sur le gril. D'emblée, le contexte économique va imposer des choix difficiles. Le dernier budget de Monique Jérôme-Forget, qui prévoit un retour à l'équilibre budgétaire d'ici cinq ans, repose sur des hypothèses un brin téméraires. D'un côté, Québec contiendrait la progression des dépenses. De l'autre, il augmenterait ses revenus grâce, entre autres, à une meilleure chasse à l'évasion fiscale! Disons que c'est une chanson que l'on a déjà entendue.

L'ex-ministre des Finances a aussi mis la table à des rattrapages dans les tarifs des services publics, qui sont gelés depuis trop longtemps ou qui ne sont pas facturés à leur juste prix. Si le redressement des finances publiques s'annonce encore plus difficile que prévu, c'est Raymond Bachand qui aura l'odieux de prendre les décisions pénibles.

Le nouveau ministre des Finances devra aussi revoir toutes les relations du gouvernement avec la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui se sont complètement dégradées. La nomination de Michael Sabia a révélé à quel point l'indépendance de la Caisse était une mascarade.

Plutôt que de prétendre à une autonomie factice, le gouvernement devrait mieux baliser ses champs d'intervention. Le gouvernement du Québec peut-il choisir un président avec lequel il se sent à l'aise de travailler tout en n'intervenant pas directement dans les décisions d'investissement et de placement?

Enfin, Raymond Bachand aura, espère-t-on, les coudées franches en ce qui concerne le monstrueux dossier du CHUM. Monique Jérôme-Forget tenait presque aveuglément à le réaliser en PPP, son dada, même si la crise financière rend cette formule beaucoup moins alléchante, les partenaires privés ayant du mal à se dénicher un financement privé. Osera-t-il faire marche arrière?

Ce sont, on le voit, d'énormes chantiers à mener de front. Raymond Bachand a tout intérêt à porter un casque de construction.

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