Plus grand exportateur au monde, l'Allemagne est en crise parce que ses clients achètent moins. La première économie européenne paie le prix de sa grande dépendance au commerce mondial, à l'instar de plusieurs pays émergents. Des experts sonnent l'alarme: il faut repenser nos économies.

La récession en Allemagne ne cesse de s'accélérer. En janvier, la production industrielle du pays a chuté de 19,6% sur un an, revenant ainsi à son niveau d'août 2003.

 

Les commandes à l'industrie ne vont pas mieux: elles ont reculé de 35% sur une base annuelle, signe que les affaires ne s'amélioreront pas de sitôt.

Essentiellement, l'Allemagne continue de payer pour sa dépendance au marché mondial. Les commandes industrielles venues de l'étranger ont en effet chuté de 40%.

Longtemps fière de son titre de premier exportateur de la planète, l'Allemagne doit aujourd'hui vivre avec le revers de la médaille: quand la demande mondiale s'effondre, son économie souffre plus que celle de ses voisins européens.

L'an dernier, ses exportations ont frôlé les 1400 milliards US. Cela représente environ 40% de son PIB (produit intérieur brut). À titre de comparaison, l'économie de la France dépend à 28% de l'exportation.

Et le pire semble à venir. La Fédération des exportateurs allemands s'attend à un recul des exportations d'environ 8% en 2009. La DekaBank table sur un repli de 10%.

Une réflexion

À quelques jours de la réunion du G20, qui aura lieu à Londres le 2 avril, des experts croient que la crise économique devrait inciter nos dirigeants à une profonde réflexion.

Dans une lettre ouverte publiée la semaine dernière par des médias américains, David Smick, expert du commerce et éditeur du magazine The International Economy, sonne l'alarme: il faut revoir le modèle économique de la planète, qui, selon lui, repose trop sur le commerce mondial.

Auteur d'un livre intitulé Le monde est tordu: les dangers cachés pour l'économie globale (The world is curved: hidden dangers to the global economy, Penguin Portfolio), M. Smick déplore que des gouvernements blâment la crise financière pour leurs ennuis économiques.

À ses yeux, on «simplifie à outrance» en concluant que l'éclatement de la bulle de 300 milliards US du subprime américain a pu faire dérailler un système financier de plusieurs milliers de milliards de dollars à l'échelle internationale.

Selon M. Smick, le problème est plus profond, plus sérieux. Depuis la chute du mur de Berlin, trop de pays - en commençant par des économies émergentes en Asie ou en Europe de l'Est - ont rattaché leur croissance à un seul moteur: exporter au monde industrialisé.

On a surtout misé sur le boulimique mais très endetté consommateur américain. Si bien que, à l'apogée du commerce mondial, les Américains dépensaient 1,10$US pour chaque dollar gagné. Un ratio «incroyable», dit-il.

Le modèle a fonctionné un certain temps, grâce au tsunami des emprunts internationaux qui finançaient les échanges commerciaux. Mais cela a donné lieu à une aggravation des risques courus par les banques, qui s'exposaient ainsi à un revirement de la conjoncture mondiale.

«Évidemment, personne n'a cru que l'économie américaine ou que le système financier allait s'effondrer. Tout comme personne n'a prévu que la surdépendance à l'exportation (...) deviendrait l'un des talons d'Achille du monde», affirme M. Smick.

Cela dit, le spécialiste n'a pas de grandes attentes face au G20. Les leaders du monde ne s'entendent pas sur un remède à la crise financière et ils n'accoucheront pas d'un accord majeur qui modifiera les règles du commerce. Or, c'est là une «tragédie», soutient-il.

D'un côté, les États-Unis dépendent trop de leur endettement et de leur consommation. De l'autre côté, une large partie du monde est «dangereusement dépendante des exportations», écrit-il. Ce déséquilibre ébranle un géant comme l'Allemagne, mais aussi l'Irlande, l'Inde, la Corée-du-Sud, la Roumanie... donc plusieurs économies émergentes.

Françoise Lemoine, économiste au Centre d'études prospectives et d'information internationales à Paris, s'interroge également sur la situation. Dans un commentaire publié par La Presse la semaine dernière, elle souligne que les interdépendances tissées par la mondialisation «créent actuellement les conditions de l'effondrement» de la croissance.

Bref, de plus en plus de voix s'élèvent pour remettre en question la façon de faire de la planète économique.

M. Smick, lui, est catégorique. Un jour, les archéologues fouilleront les décombres de la crise financière 2008-2009. Ils y découvriront non seulement que les autorités mondiales «dormaient sur la switch», mais on verra que le monde était alors complètement déséquilibré, dit-il.