Comme il fallait s'y attendre, la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a décidé d'ouvrir les vannes. On ne saurait guère le lui reprocher. En cette période de crise, tous les gouvernements ont recours à la bonne vieille recette qui consiste à augmenter les dépenses de l'État pour limiter les dégâts, d'où un déficit de 3,9 milliards pour le prochain exercice financier.

Déficit! Le seul mot suffit à faire dresser les cheveux sur la tête, et on comprend pourquoi. À force d'accumuler les déficits, les gouvernements fédéral et provinciaux se sont virtuellement retrouvés en faillite il n'y a pas si longtemps. On se souvient encore des sacrifices énormes qu'il a fallu consentir pour atteindre le déficit zéro. Personne n'a le goût de revivre pareil cauchemar.

 

Visiblement, la ministre Jérôme-Forget est bien consciente de la situation, et c'est pour cela que son budget comporte un plan de retour à l'équilibre étalé sur cinq ans. Selon les projections du ministère, le déficit passera à 3,8 milliards dans deux ans, à 2,6 milliards l'année suivante, puis 1,3 milliard l'année d'après. En tout, 11,6 milliards de déficits en quatre ans. Enfin, l'exercice 2013-14 se soldera par un léger surplus de 88 millions. Exit le cauchemar d'un retour au cercle vicieux des déficits et de l'endettement!

Comment la ministre s'y prend-elle pour éliminer son déficit aussi rapidement?

Simple: en augmentant ses revenus et en comprimant ses dépenses.

Mais il a un hic. Le plan de redressement repose sur des fondations fragiles. Tellement fragiles, en fait, qu'il faudrait pratiquement un miracle pour que tout se déroule selon les prévisions.

Pour augmenter ses revenus, la ministre compte sur trois mesures.

La plus importante consiste à augmenter le taux de la taxe de vente d'un point de pourcentage à compter du 1er janvier 2011. Sur un plein exercice, cette mesure rapportera plus de 1,2 milliard, ou 4,1 milliards pendant la durée du plan de redressement. Cette projection est crédible et réaliste.

Dans un deuxième temps, à l'exception des services de garde, tous les tarifs des services publics seront indexés, également à compter du 1er janvier 2011. Il faut saluer cette initiative. Il y a des années que le gouvernement québécois se prive de revenus importants en refusant de suivre la voie du bon sens élémentaire: pas augmenter, mais simplement indexer les tarifs. Il était à peu près temps que quelqu'un ait le courage de faire le ménage là-dedans. Sauf que l'indexation des tarifs n'apportera qu'une très modeste contribution à la lutte contre le déficit: à peine 400 millions en quatre ans.

La troisième mesure consiste à lutter contre l'évasion fiscale. Hummmm... Jacques Parizeau a essayé cela, Gérard-D. Levesque a essayé cela, Bernard Landry aussi, Pauline Marois aussi, et Yves Séguin, et Michael Wilson et Paul Martin à Ottawa. On ne compte plus les budgets où on promet des hausses importantes de revenus grâce au resserrement des contrôles fiscaux. Mme Jérôme-Forget s'attend à aller chercher pas moins de 2 milliards en quatre ans dans les poches des mauvais payeurs. Souhaitons-lui bonne chance.

Voilà pour les revenus. En ce qui concerne les dépenses, la ministre entend plafonner leur croissance à 3,2% par année. Il s'agit des dépenses de programmes, excluant notamment le service de la dette. C'est un pari hautement téméraire. Cela ne s'est jamais vu en 10 ans. En fait, les hausses des dépenses de programmes du gouvernement québécois se situent en moyenne à 4,7% depuis 10 ans. Il faudra faire un énorme effort de compression pour atteindre l'objectif de 3,2% et le maintenir pendant quatre ans: sur un budget de dépenses de 60 milliards, la petite différence entre 4,7 et 3,2% représente 900 millions. Où ira-t-on chercher cet argent?

Le défi est d'autant plus difficile que deux obstacles majeurs viennent compliquer la situation. Le financement des soins de santé accapare maintenant 44% des dépenses de programmes, et continuera d'augmenter plus rapidement que les autres dépenses. Il faudra donc, pour respecter le défi de 3,2%, sabrer lourdement ailleurs. D'autre part, les déficits des prochaines années propulseront le service de la dette à des niveaux sans précédent: hausse de 9% l'an prochain, 15% l'année suivante, 16% l'année d'après et enfin 6% en 2013. Le service de la dette passera ainsi de 6,1 milliards maintenant à 9,4 milliards dans quatre ans.

Ce n'est pas tout.

Une fois qu'on tient compte de ces nouveaux revenus et de ces compressions de dépenses, il manque encore 3,8 milliards pour atteindre le déficit zéro dans cinq ans. Ce trou, peut-on lire dans les documents budgétaires, sera comblé par d'autres mesures à identifier.

C'est vague mais, comme le dit la ministre, on mangera l'éléphant une bouchée à la fois.