À 68 ans, la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, signe vraisemblablement son dernier budget avant de quitter la vie politique. Un testament budgétaire à l'encre rouge vif, avec des déficits de 7,7 milliards de dollars attendus au cours des deux prochaines années.

«C'est un changement draconien», admet la ministre. Son gouvernement est maintenant contraint d'adopter une loi spéciale pour contourner la loi anti-déficit. En bonne mère de famille, comme elle aime se décrire, la ministre des Finances s'engage toutefois à ce que le Québec retrouve l'équilibre budgétaire d'ici cinq ans, une fois la tempête passée.

Il n'y a pas 56 façons de revenir au déficit zéro. Il faut soit couper dans les dépenses, soit augmenter les revenus. Or, si l'histoire nous enseigne quelque chose, c'est qu'il est fort difficile de contenir la progression des dépenses (surtout en santé!), comme la ministre ambitionne de le faire à compter de l'an prochain.

C'est donc du côté des revenus que le Québec devra inévitablement se tourner. Des trois grandes mesures annoncées hier par Monique Jérôme-Forget, c'est la hausse de la TVQ qui retient le plus l'attention, d'autant que la ministre fait ici volte-face.

Cette taxe à la consommation grimpera de 7,5% à 8,5% à compter de 2011. Le fisc récoltera ainsi 1,2 milliard par année, déduction faite des 250 millions en crédits d'impôt pour les familles défavorisées.

Mais c'est la nouvelle «politique de financement des services publics» qui devrait intéresser les Québécois. Car, sous ses dehors anodins, il s'agit d'une petite révolution. À compter de 2011, les tarifs des services publics assurés par les ministères et organismes seront automatiquement indexés au coût de la vie. Seule exception : les services de garde, encore perçus comme intouchables.

Par exemple, le coût d'un certificat de naissance, de 15$, n'a pas bougé depuis 1996. De la même façon, le coût d'un transport en ambulance, de 125$, est fixe depuis 1997. Compte tenu de l'inflation, le prix de ces services n'a donc cessé de baisser.

Alors que le Québec se trouve en déficit et que les systèmes de santé et d'éducation craquent de toutes parts, c'est une aberration.  

L'indexation devrait aller de soi, mais les prédécesseurs de la ministre avait été trop moumounes, politiquement, pour prendre cette «décision plus difficile» que d'autres, dixit Monique Jérôme-Forget.   

La ministre a ainsi sorti du placard le rapport du groupe de travail sur la tarification des services publics qui s'empoussiérait depuis un an. «Beaucoup de services gouvernementaux sont considérés comme «gratuits», note la ministre. C'est une illusion qui conduit à des comportements individuels qui mènent au gaspillage de nos ressources.»

À entendre son discours, on croirait lire le rapport de ce groupe de travail présidé par l'économiste Claude Montmarquette.

Le troisième budget de Monique Jérôme-Forget, c'est toutefois la version «soft» de ce rapport substantiel. L'indexation se limite aux services des ministères et organismes. Des 22,7 milliards de revenus tarifaires perçus par Québec, seulement 3 milliards de revenus sont ici visés. Ainsi, l'indexation de ces tarifs devrait rapporter 75 millions en 2011-12, des pinottes comparativement à la hausse de la TVQ.

On est loin du rapport Montmarquette, qui ne fait pas dans la dentelle.

Par exemple, les droits de scolarité à l'université, qui augmentent déjà de 50$ par session, ne seront pas visés. Il n'est pas question non plus de tarifer l'eau pour mettre fin au gaspillage. Ou encore de toucher au bloc d'électricité patrimonial, dont le prix est arbitrairement fixé à 2,79 cents le KWh. Avec cette subvention énorme, l'électricité n'est pas vendue à son vrai prix, de sorte que les Québécois se soucient peu de l'économiser.

Toutefois, Monique Jérôme-Forget met la table pour des hausses substantielles des tarifs, même si elle affirme qu'il n'y en a «aucune sur l'écran radar» actuellement.

Les ministères devront évaluer les coûts réels de leurs services. Cela pourrait se traduire par de nouveaux tarifs ou des «rattrapages», lorsque le prix d'un service public, gelé depuis longtemps, est trop éloigné de son coût véritable.

«Un mécanisme de rattrapage progressif doit être envisagé», est-il écrit dans la politique. Ce rattrapage s'échelonnera sur deux à cinq ans.

Le gouvernement est évasif à souhait sur les cibles, mais les exemples donnés sont révélateurs des services qui pourraient se trouver dans le collimateur. Les étudiants ne paient que 10,6% des coûts de l'éducation collégiale et 24,6% de l'éducation universitaire. Les parents qui envoient leurs bambins dans une garderie subventionnée n'assument que 16,3% des coûts de ces «places à 7 dollars».

Un étudiant de médecine devrait-il payer les mêmes droits de scolarité qu'un étudiant en littérature, compte tenu des différences dans le coût de la formation et des perspectives de revenus ? Peut-on relever les tarifs en préservant l'accessibilité pour les plus démunis, en haussant les prestations d'aide sociale, en augmentant les bourses ou en offrant des crédits d'impôt ?

Il y a de beaux débats de société en perspectives au Québec, qui a trop longtemps balayé ces questions sous le tapis. «Ce sera à la communauté de faire des choix», dit Monique Jérôme-Forget.  

La ministre des Finances vient de lancer des bombes à retardement. Mais lorsqu'elles exploseront, elle sera trop loin pour recevoir des éclats.

sophie.cousineau@lapresse.ca