Après des années d'euphorie nourrie par une croissance à la chinoise, le rêve celtique se brise. L'Irlande paie chèrement sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et les excès de la bulle immobilière. Fragile, son modèle économique ne résiste pas à la crise financière.

Le verdict est tombé mardi dernier.

L'économie irlandaise -qui a été l'une des plus dynamiques du monde pendant une décennie- est en chute libre. Elle devrait se contracter «de plus de 6%» en 2009, a averti le gouverneur de la banque centrale du pays, John Hurley. Un recul dramatique.

 

Quelques jours auparavant, on a appris que le chômage, longtemps autour de 4,5%, progresse de manière exponentielle en Irlande: il a atteint 10,4% en février, un sommet en plus de 10 ans. Les économistes de Davy Research, une firme de Dublin, le voient franchir les 12% à l'automne.

Jadis au deuxième rang européen pour la richesse par habitant, le «Tigre celtique» miaule aujourd'hui comme un chaton blessé.

Il y a deux semaines, 120 000 manifestants ont protesté à Dublin contre les coupes budgétaires et le départ de centaines d'entreprises américaines. Une mobilisation importante dans une île de 4 millions d'habitants. La grogne a donc remplacé l'euphorie.

L'immobilier

Comme ailleurs dans le monde, l'immobilier est à l'origine de la débâcle irlandaise. Inspiré par ce qui passait au Sud, en Angleterre notamment, les banques irlandaises ont pratiqué pendant des années une stratégie commerciale irresponsable qui a alimenté une bulle immobilière.

Par exemple, elles pouvaient avancer jusqu'à 100% du crédit immobilier à un jeune diplômé en se fiant à la valorisation de sa maison.

De 1996 à 2006, les prix des logements ont grimpé de 270%. Dans ce contexte, le secteur de la construction -qui représentait 15% de l'économie et un emploi sur huit en 2006- a pris une place démesurée dans le paysage irlandais.

Jusqu'à ce que la conjoncture mondiale se retourne avec un effet brutal: les prix des logements en Irlande ont chuté, fragilisant les banques, qui rechignent aujourd'hui à prêter. Privée de ses vivres, l'industrie de la construction est donc en panne.

Si bien que des médias européens témoignent régulièrement des échecs immobiliers dans l'île. Comme ce centre commercial tout neuf qu'on peut voir à Longford, petite ville de 33 000 habitants plantée au centre de l'lrlande: un complexe énorme, de plusieurs étages... mais complètement vide. Aucun commerçant n'a voulu s'y installer.

Dell et les autres

Mise à mal par l'immobilier, l'Irlande est aussi attaquée sur sa droite, avec l'échec de sa généreuse politique fiscale destinée à attirer les entreprises étrangères.

En janvier, les habitants de Limerick, quatrième ville du pays, ont eu un choc. Dell, deuxième fabricant mondial d'ordinateurs, a annoncé la fermeture de son usine dans la région, entraînant la perte de 1900 emplois. La raison avancée par Dell: l'économie mondiale va mal, il faut consolider.

Le groupe texan a donc transféré sa production dans une nouvelle usine, en Pologne. Environ 1500 emplois sont aussi menacés chez des sous-traitants de Dell, auxquels il faut jouter 3000 emplois compromis par la baisse d'activité dans la région. Pour les 90 000 habitants de Limerick, le coup est très dur. Jusque-là, Dell était l'un des premiers exportateurs d'Irlande et un symbole de la stratégie économique de l'État.

Or, plusieurs géants informatiques, dont Apple, HP, Wang et Digital, ont aussi plié bagage pour aller chercher de la main-d'oeuvre moins chère ailleurs. Pour beaucoup d'Irlandais, le message est clair: merci de votre aide (comme le fameux impôt sur les sociétés limité à 12,5%) mais, en temps de crise, elle ne suffit plus.

L'Irlande, l'un des pays les plus pauvres d'Europe durant les années 60-70, est devenu l'un des plus riches (en termes relatifs) au tournant des années 2000. Trente ans. C'est bien peu de temps pour gravir autant d'échelons. Il fallait donc se douter de la fragilité du modèle irlandais.

Encore une fois, la crise économique mondiale expose les cas extrêmes. L'Irlande en est un.

La tempête financière a tout chambardé. Au point que le gouvernement irlandais vient de passer en mode crise et a imposé des mesures d'austérité à toute la population pour boucler son budget.

Le Tigre celtique en est donc rendu là, à se terrer comme un animal blessé. On le compare même aux pays les plus éprouvés par la crise. À preuve, cette blague qui circule dans les milieux financiers: «Qu'est-ce qui distingue l'Irlande de l'Islande? Réponse: une seule lettre.»

Bonne Saint-Patrick quand même