Les investisseurs floués qui ont bravé le barrage des caméras pour se dénicher une place dans la petite salle d'audience à la cour fédérale de Manhattan ont spontanément applaudi hier lorsque le juge Denny Chin a envoyé Bernard Madoff à la prison. Ils ne supportaient plus que le courtier déchu attende de connaître son sort dans le confort de son somptueux appartement new-yorkais.

Mais ce fugace moment de consolation s'est rapidement estompé pour laisser place à de vifs sentiments d'amertume et de colère.

Tiré à quatre épingles dans son complet gris charbon, Bernard Madoff s'est excusé en affirmant qu'il était «profondément désolé et honteux» d'avoir escroqué ceux, amis comme inconnus, qui lui avaient fait confiance. Mais tandis qu'il plaidait coupable à 11 chefs d'accusation de fraude, de blanchiment d'argent et de production de faux documents, il n'a jamais osé regarder ses victimes dans les yeux.

 

Bernard Madoff fait face à une peine d'emprisonnement qui pourrait totaliser 150 années. Mais à la fin, la durée précise de la peine n'a d'importance que pour les juristes. Pour le commun des mortels, la seule chose qui importe c'est que l'homme de 70 ans finira vraisemblablement ses jours derrière les barreaux.

Pour ceux qui ont été lessivés par ce courtier et gestionnaire de fortune, toutefois, ce ne sera jamais assez pour les venger de ses ravages financiers. Bernard Madoff a confessé avoir dérobé quelque 50 milliards de dollars aux investisseurs. Cependant, les avocats du gouvernement calculent que la fraude frise les 65 milliards. Dans un cas comme dans l'autre, ce sont des sommes astronomiques qui dépassent l'entendement.

Les victimes de Madoff veulent savoir en premier lieu où est passé tout cet argent. Vu la complexité du dossier, ils devront attendre longtemps avant de trouver réponse.

Les investisseurs veulent savoir comment la Securities & Exchange Commission (SEC), la police de la Bourse aux États-Unis, a été aveugle à un stratagème qui se serait déployé sur une quinzaine d'années. En effet, jamais dossier n'a fait aussi mal paraître la commission.

La SEC a ignoré les avertissements d'un courtier concurrent de même que les articles du journal financier Barron's qui jugeaient louches les politiques d'investissement et les résultats de Madoff dès le début des années 2000. Et les vérifications timides de la Commission n'ont mené nulle part.

La tentation de puiser dans les comptes des investisseurs restera toujours aussi forte dans l'industrie financière. Mais pincez Madoff quelques années plus tôt, et vous avez un «petit» Vincent Lacroix. Pincez Lacroix plus tôt, et vous avez, en substance, un voleur à l'étalage. La clef est donc dans la détection rapide des filous.

Que fera la SEC pour arrêter les gestionnaires de fonds avant que leurs petites escroqueries ne se transforment en arnaques immenses? Ce n'est que lorsque les États-Unis réformeront autant leurs lois que la façon de les appliquer que les victimes de Madoff pourront applaudir. D'ici là, il n'y a pas de quoi célébrer.

La SEC, sous la direction de sa présidente Mary Schapiro, nouvellement désignée par le président Barack Obama, est allée au-devant des coups mercredi. L'agence a profité du plaidoyer de culpabilité de Madoff pour annoncer des mesures qui visent à colmater les brèches dans sa surveillance.

La SEC songe à réclamer des gestionnaires de fonds à capital fermé qu'ils produisent des états financiers vérifiés par des comptables agréés enregistrés en bonne et due forme. Cela semble aller de soi, mais la petite firme de trois employés qui vérifiait les comptes de la firme de Madoff n'était même pas enregistrée auprès du Public Accounting Oversight Board, qui inspecte les vérificateurs aux États-Unis.

Les gestionnaires de fortune ne pourraient plus confier la garde des comptes de leurs investisseurs dans une société apparentée, comme c'était le cas avec l'entreprise familiale de Bernard Madoff. Cette garde devrait être assurée par une firme externe et indépendante.

La SEC songe aussi à récompenser plus généreusement les délateurs. Mais encore faut-il que le personnel de l'agence les prenne au sérieux, ce qui ne fut pas le cas avec le courtier Harry Markopolos...

Aux États-Unis comme au Canada, le problème en est un de volonté et d'expertise. Mais les régulateurs luttent à armes inégales contre l'industrie financière. Les instruments dérivés et les plates-formes de négociation ont complexifié l'industrie au point de la rendre opaque sauf aux initiés. Il faut donc des cracks pour déceler les manoeuvres suspectes. Or, cette expertise vaut une fortune au privé, même en cette ère de «primes réglementées». Ainsi, les meilleurs employés des agences de réglementation font régulièrement le saut dans les grandes firmes une fois qu'ils ont fait leurs classes au gouvernement.

Inconsciemment ou pas, ces perspectives alléchantes ne peuvent qu'influencer la surveillance de l'industrie. Ainsi, avant de mettre en doute la réputation d'une firme dans une industrie qui repose sur la confiance, les inspecteurs et enquêteurs sont prudents à l'extrême. La SEC peut et doit étendre sa surveillance aux coins de l'industrie financière qui lui échappent. Mais contre le syndrome des portes tournantes, elle ne pourra pas grand-chose.

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