Mon collègue Martin Croteau faisait état, dans La Presse de lundi, du malaise qui gagne les dirigeants syndicaux québécois. Le séisme qui ébranle la FTQ-Construction, craint-on, risque d'éclabousser l'ensemble du mouvement syndical.

Ce n'est pas certain. L'opinion publique est parfaitement capable de faire la différence entre les pommes pourries et les autres. N'empêche: l'affaire a mis au jour les agissements scandaleux d'un haut dirigeant syndical dont le pouvoir, par définition, est considérable.

 

Le moment est bien choisi pour rappeler qu'au Québec, en effet, les chefs syndicaux détiennent sur la société un ascendant unique en Amérique du Nord.

Des chiffres publiés la semaine dernière par l'Institut de la Statistique du Québec (ISQ) permettent de mieux comprendre la portée de ce pouvoir.

Il y a au Québec 3,3 millions de travailleurs, dont 1,3 million de syndiqués. Cela donne un taux de syndicalisation de 39,4%. Ces chiffres ne tiennent pas compte des travailleurs autonomes.

Cette proportion est la plus élevée au Canada et, par conséquent, en Amérique du Nord.

Dans le reste du Canada, le taux de syndicalisation tombe loin derrière, à 28,8%. Comme on s'en doute, le taux élevé de couverture syndicale au Québec contribue à faire grimper la moyenne canadienne à 31,2%.

Aux États-Unis, le taux de syndicalisation ressort à un anémique 12,4%. Même l'État le plus syndiqué, New York, n'atteint que 24,9%.

Ces données montrent à quel point les chefs syndicaux québécois jouissent d'une influence inégalable.

Leur pouvoir repose essentiellement sur les employés de l'État.

Il existe en effet un abîme entre les secteurs public et privé.

Le secteur public québécois compte 807 000 employés. L'expression «secteur public», ici, doit être prise dans son sens large: fonctionnaires fédéraux, provinciaux et municipaux (incluant les cols bleus), personnel des réseaux de l'éducation et de la santé, employés des sociétés d'État, des commissions scolaires, des sociétés de transports en commun, policiers, pompiers; autrement dit, tous ceux qui reçoivent un chèque de paie d'une administration publique.

De ce nombre, 654 000 appartiennent à un syndicat, ce qui donne un taux de couverture syndicale de 81%.

Les entreprises privées, de leur côté, emploient 2,5 millions de travailleurs, mais seulement 663 000 d'entre eux sont syndiqués, pour un taux de couverture de seulement 26,2%.

Dans ces conditions, on comprend que les ténors du mouvement syndical sont toujours les premiers aux barricades pour dénoncer la participation du privé dans des secteurs comme la santé, l'éducation, les garderies, et promouvoir les programmes entièrement financés par les fonds publics.

Les séries de l'ISQ comprennent par ailleurs d'autres données fort intéressantes sur les caractéristiques de la main-d'oeuvre syndiquée québécoise.

Comme il fallait s'y attendre, le taux de syndicalisation augmente avec la taille de l'employeur. Ainsi, les syndicats sont encore largement absents des petites entreprises comptant moins de 20 employés, et où le taux de syndicalisation n'est que de 18,6%. En revanche, chez les employeurs comptant plus de 500 salariés, c'est-à-dire les grandes entreprises privées et le secteur public, le taux grimpe à 65,3%.

De la même façon, il y a un lien direct entre le niveau d'études et le taux de syndicalisation. C'est normal: les syndicats sont concentrés dans la fonction publique et les grandes entreprises, et c'est là qu'on trouve les meilleurs emplois. Ainsi, chez les travailleurs qui ont quitté l'école avant la fin du secondaire, le taux de couverture syndicale est de 30,1%, contre 44,1% pour les diplômés universitaires.

Après les administrations publiques, les secteurs les plus syndiqués sont la construction (58,2%), le transport et l'entreposage (46,4%) et le secteur manufacturier (38,7%). Par contre, les syndicats sont encore peu représentés dans les services professionnels (9,7%), l'hôtellerie et la restauration (11%), et le commerce (19,6%).

Enfin, il y a 556 000 jeunes travailleurs de 15 à 24 ans au Québec, mais seulement 131 000 d'entre eux sont syndiqués, pour un taux de couverture de 23,5%. Ce n'est pas très élevé, mais c'est presque le double des 13,5% observés dans le reste du Canada.