Récession oblige, les grands financiers par qui est arrivée la crise parlent maintenant de frugalité et de ses synonymes: modération, sobriété, tempérance. Et après avoir joué les gloutons de la finance, ils causent bien entendu de bonne gouvernance.

Pour le commun des mortels, fini le crédit facile, la folle consommation. Fini la valorisation facile de ses actifs, maison, portefeuille, REER, etc. Fini également, pour un grand bout de temps, l'épargne rentable. On doit maintenant se contenter de rendements minables si on ne veut pas courir de risques.

 

L'heure est au remboursement des dettes personnelles. Au sauve-qui-peut.

Les ventes au détail chutent, malgré les rabais qui foisonnent. Des entreprises ferment leurs portes. Les faillites augmentent. Le chômage grimpe. Les gens se serrent la ceinture. Pour une rare fois depuis très longtemps, les gens épargnent. Ou tentent de le faire.

«Hyperconsommation, gaspillage, épuisement des ressources naturelles... La société de consommation telle que nous la connaissons a-t-elle un avenir?» Voilà la «petite» question existentialiste qui sera débattue par les quatre conférenciers (dont moi) qui participeront à une Conférence publique organisée jeudi prochain par Option consommateurs (1).

On a l'impression d'arriver à la fin d'un cycle, celui de la consommation effrénée.

Est-ce vraiment le cas? Je pense qu'il s'agit plutôt d'une simple pause de quelques semestres. Après, tout va revenir à la «normale», c'est-à-dire qu'on va continuer de mettre la pédale à fond sur l'accélérateur de la consommation.

On est comme ça, nous, les simples consommateurs des sociétés occidentales. On va se remettre à croire les financiers en s'endettant par-dessus les oreilles pour montrer qu'on est capables de se payer mille et un produits, généralement inutiles.

On traverse actuellement une période de grande austérité. Notre richesse s'effrite. On se fait frapper dans nos portefeuilles, dans nos caisses de retraite. Les Américains subissent même une gigantesque perte de valeur immobilière.

Évidemment, on est loin de la Grande Dépression des années 30. Qu'à cela ne tienne, nous traversons tout de même la pire crise depuis ce moment-là.

C'est l'héritage que nous laisse la dernière bulle spéculative qui a permis à nos propriétés de doubler de valeur, à nos portefeuilles de se gonfler à bloc, à nos caisses de retraite de se lancer dans la spéculation, à nos banquiers et grands financiers de se remplir les poches.

Pour nous sortir du bourbier et éviter la catastrophe, les gouvernements, de par le monde, promettent d'injecter plus de 10 000 milliards de dollars dans une multitude de programmes de stimulation économique et de sauvetage des institutions financières.

Les gouvernements font des pieds et des mains pour payer les pots cassés par les financiers du monde... et convaincre les consommateurs de dépenser davantage.

Le problème? Les consommateurs surendettés ne peuvent plus joindre les deux bouts, ni emprunter à un taux d'intérêt raisonnable, ni emprunter tout court dans bien des cas. Les consommateurs mieux pourvus, pas fous, préfèrent mettre le frein sur la dépense et augmenter leur épargne. Les riches, quant à eux, jouent de grande prudence, et regardent les occasions de placement dans le but de récupérer - en partie, du moins - les lourdes pertes boursières qu'ils ont subies.

Est-ce à jamais la fin des bulles spéculatives, des excès et des pratiques douteuses du merveilleux monde de la haute finance? Non. L'avant-dernière bulle spéculative remonte aux années 1999-2000: la bulle du secteur internet, haute technologie, télécom et média. Cela avait généré plusieurs scandales: Enron, Nortel, Tyco, WorldCom, Adelphia, ImClone... Les marchés boursiers s'étaient dégonflés de 50%.

Deux ans plus tard, une nouvelle bulle spéculative prenait racine... et entraînait la Bourse dans de nouvelles hauteurs vertigineuses. Qui plus est, la nouvelle bulle allait faire perdre la tête à tous les grands gestionnaires de portefeuilles face à la naissance de produits dérivés tous plus spéculatifs les uns que les autres. Je fais notamment référence au fameux papier commercial lié à des actifs non bancaires, comme les subprimes, les cartes de crédit, les hypothèques à risques. S'ajoutent à cela mille et un autres joujoux financiers, tous plus complexes et vulnérables les uns que les autres.

Pour couronner le tout, on a eu droit à de gigantesques fraudes de Bernard Madoff, Allen Stanford et autres arnaqueurs internationaux, sans compter notre filou local, Vincent Lacroix, de Norbourg.

Une fois la présente crise financière résolue, pensez-vous sérieusement que le monde de la haute finance se disciplinera? Non. L'appât du gain rapide et l'euphorie de la spéculation reviendront hanter les marchés financiers et s'inséreront dans la normalité de la vie financière. Et petit à petit, une nouvelle bulle spéculative naîtra et attirera de plus en plus de spéculateurs et consommateurs. Comme d'habitude, les gens les plus avertis auront le temps de sortir leurs billes avant que la bulle n'éclate et fasse de nouvelles victimes.

Ainsi va l'avenir de notre société de consommation. Toujours plus démesurée, toujours plus folle, etc. Et qui en sont les vrais perdants? Les consommateurs ordinaires.

God Bless America.

(1) Conférence publique «Notre société de consommation: quel avenir?» Organisée par Option consommateurs, jeudi le 12 mars, 19h30 Endroit: UQAM, Complexe Pierre-Dansereau, 200, Sherbrooke Ouest, Montréal Conférenciers: Michel Girard (La Presse Affaires), Louis-Gilles Francoeur (Le Devoir), Christian Désîlets (Université Laval, ex-dirigeant de Cossette), Louis Chauvin (Réseau simplicité volontaire) et l'animateur, Michel Venne (Institut du Nouveau Monde). Cette conférence est organisée dans le cadre du Colloque international sur la consommation, qui se tient au même endroit les jeudi 12 et vendredi 13 mars.