L'administration de Barack Obama a déclenché des sueurs froides partout dans le monde, il y a deux semaines, en dotant son plan de relance économique d'une clause «Buy America». Le Canada, premier fournisseur des États-Unis, risquait d'être particulièrement touché. Le plan spécifiait notamment que les travaux d'infrastructures réalisés aux États-Unis devaient obligatoirement utiliser de l'acier produit aux États-Unis.

Or, les travaux d'infrastructures constituent une pièce majeure du plan de relance, et le Canada expédie près de la moitié de sa production d'acier aux États-Unis. Dans ces conditions, on pouvait certainement se demander si la relance de l'économie américaine ne se ferait pas sur le dos des travailleurs canadiens.

 

Et le dossier de l'acier n'est que la pointe de l'iceberg. Déjà, certains sénateurs américains parlaient d'étendre la clause «Buy America» à d'autres secteurs.

Heureusement, le président Obama a changé son fusil d'épaule. Il se fait maintenant beaucoup plus conciliant. Washington, dit-il, n'a aucune intention de déclencher une guerre commerciale, d'envoyer un message protectionniste ou de se dérober aux règles de l'Organisation mondiale du commerce ou aux obligations inscrites dans l'accord de libre-échange nord-américain.

Ces belles paroles sont les bienvenues, mais sont-elles suffisamment rassurantes?

Rien n'est moins certain, pour un certain nombre de raisons.

1. Les vieux réflexes

Ce ne sont pas quelques mots de réconfort du nouveau président qui vont effacer les puissants réflexes protectionnistes du Congrès américain, d'autant plus que ce sont les démocrates, traditionnellement plus protectionnistes que les républicains, qui sont au pouvoir. Il y a maintenant plus de 20 ans que le Canada et les États-Unis ont signé un accord de libre-échange, mais cela n'a pas empêché les Américains de multiplier les mesures vexatoires, entraves administratives, prétextes sanitaires ou environnementaux, procédures judiciaires ou autres entraves au commerce.

Cela a déclenché, entre autres, la guerre du porc sur pied, la guerre du magnésium, la guerre de la bière, la guerre de la volaille; il y a même eu une guerre du homard et une guerre du sirop d'érable, sans compter, bien sûr, la monumentale guerre du bois d'oeuvre.

Vrai, les États-Unis sont les meilleurs clients du Canada, mais ils peuvent aussi se montrer des partenaires particulièrement malcommodes, et rien ne permet de penser que tout cela va changer du jour au lendemain.

2. Protectionnisme accentué par la crise

En période de crise, les réflexes protectionnistes deviennent plus aigus. C'est normal: les emplois disparaissent par centaines de milliers, et il est tentant de bloquer les importations pour encourager les producteurs locaux. C'est en fait un mauvais calcul.

Dans le dossier du bois d'oeuvre, par exemple, les constructeurs d'habitations américains soutiennent que les entraves à l'importation de bois canadien les obligent à faire affaire avec des fournisseurs américains moins productifs. Cela fait grimper le prix des maisons neuves et contribue à ralentir les ventes. On protège les emplois chez les producteurs de bois d'oeuvre, mais on en supprime dans la construction résidentielle.

Une étude réalisée en 2003 par l'Institut Peterson de Washington montre que dans le secteur de l'acier, pour 3500 emplois maintenus grâce au protectionnisme, il s'en perd au moins 12 000 dans les entreprises consommatrices d'acier. Malgré cela, la gravité de la crise aux États-Unis risque fort d'attiser davantage un sentiment protectionniste déjà bien ancré.

3. Un texte flou

Malgré les belles paroles du président Obama, la clause «Buy America» subsiste toujours dans la version la plus récente du plan de relance, dont le libellé demeure par ailleurs assez flou pour ouvrir la porte à de nombreuses échappatoires. D'un point de vue canadien, et quand on sait à quel point les Américains peuvent être coriaces en ce genre de choses, rien de cela n'est tellement rassurant.

4. Obama est-il vraiment sérieux?

Enfin et surtout, la culture politique de Barack Obama est beaucoup plus portée du côté des grands syndicats américains, eux-mêmes chauds partisans des politiques protectionnistes. Pendant les primaires, on a d'ailleurs entendu Hillary Clinton et Barack Obama rivaliser de superlatifs pour savoir lequel des deux était le plus anti-ALENA.

Certes, comme on vient de le voir, le nouveau président a changé son fusil d'épaule, mais est-il vraiment convaincu, ou a-t-il cédé temporairement aux pressions de ses partenaires commerciaux? Trop tôt pour le dire, mais ses déclarations passées sont, sans l'ombre d'un doute, celles d'un farouche opposant au libre-échange.