Depuis plusieurs mois, l'idée d'une banque-dépotoir flotte dans l'air.

Comme les relents qui suivent le camion-poubelle l'été, cette idée répugne à tout le monde, à l'exception des banquiers, qui rêvent d'effacer l'ardoise et de repartir à zéro. Toutefois, certains, dont le Fonds monétaire international, croient que c'est la meilleure façon de secourir le secteur bancaire et de venir à bout de la crise du crédit qui mine l'économie, la vraie.

Les États-Unis semblaient avoir écarté le recours à une banque-dépotoir l'automne dernier. Après avoir songé à racheter les actifs contaminés par les hypothèques à haut risque, l'ancien secrétaire au Trésor, Henry Paulson, a changé son fusil d'épaule.

 

Il a préféré injecter des milliards dans le capital des banques, un moyen plus expéditif de renflouer les institutions financières.

C'est ainsi que la moitié des 700 milliards de dollars consacrés au sauvetage du système financier ont été dépensés.

Mais voilà que des doutes quant à l'efficacité de cette opération subsistent, alors que les banques américaines cumulent des pertes monstrueuses - Wall Street a perdu plus de 47 milliards US en 2008! - sans prêter davantage. Et si ce n'était pas suffisant?

Ainsi, l'idée d'une banque-dépotoir fait son chemin au sein de l'administration Obama. Et cela, au moment où le nouveau secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, écarte implicitement la nationalisation des banques.

«Notre système financier est contrôlé par des actionnaires privés et géré par des institutions privées, et nous aimerions bien qu'il reste tel quel», a-t-il dit mercredi.

Que les États-Unis soient allergiques aux nationalisations, peu s'en étonneront. Il en faudrait moins que cela pour que les démocrates soient traités de communistes. Mais est-ce une raison pour embrasser la banque-dépotoir?

Avec une telle banque, le gouvernement crée une organisation qui rachète avec l'argent des contribuables les actifs contaminés des banques. Débarrassées de ces boulets, ces institutions se remettent à prêter et relancent l'économie, c'est du moins le raisonnement.

Cette solution n'est pas nouvelle. Les États-Unis y ont déjà eu recours pour résoudre la crise des caisses d'épargne (Savings & Loans), à la fin des années 80. Créée en 1989, la Resolution Trust Corporation a racheté les prêts hypothécaires de ces caisses et les a ensuite liquidés.

Mais il y a des différences notables entre la situation de l'époque et celle d'aujourd'hui, note Jagdish Handa, professeur d'économie à l'Université McGill. Les caisses d'épargne ont été prises de court par la hausse des taux d'intérêt. Elles avaient consenti des prêts hypothécaires à long terme (20 ou 25 ans) à des taux fixes et relativement bas. Toutefois, pour attirer des capitaux, elles devaient offrir des taux d'intérêt élevés à leurs déposants, ce qui les a placées dans une position financière insoutenable.

Contrairement à aujourd'hui, toutefois, les emprunteurs des Savings & Loans n'étaient pas des Américains qui vivaient au-dessus de leurs moyens et qui étaient incapables de rembourser leur hypothèque. Cela a son importance quand l'on sait que, contrairement au Canada, les Américains qui n'arrivent plus à rembourser leur hypothèque peuvent remettre les clés de leur maison à la banque sans avoir à déclarer faillite. Merci, bonsoir.

Autre différence notable, les sommes en cause. Le Resolution Trust Corporation a liquidé les actifs de 747 caisses d'épargne. Au final, l'opération a coûté 160 milliards, dont 125 milliards à l'État, a calculé le contrôleur général des États-Unis en 1996.

Or, racheter les actifs contaminés de l'ensemble du système bancaire des États-Unis coûterait bien plus cher, même en tenant compte de l'inflation. On parle de milliers de milliards de dollars, soit 2 ou 3 billions (que les Américains appellent «trillions»). Dans le contexte, les 350 milliards qui restent dans le Troubled Asset Relief Program semblent largement insuffisants.

Non seulement la situation d'aujourd'hui est-elle différente, mais elle est nettement plus complexe. Pour créer une banque-dépotoir, il faut mettre sur pied une organisation importante et sophistiquée. Même si les financiers au chômage ne manquent pas, cela ne se fait pas en criant lapin.

Puis, il faut établir un prix équitable pour des actifs dont la valeur marchande est difficile à établir. Si la banque-dépotoir paie trop, les contribuables se font rouler dans la farine. Si elle ne paie pas assez, les institutions ne sont pas plus avancées et leurs actionnaires peuvent même intenter des poursuites.

«Quels actifs seront rachetés, et à quel prix? demande Jean Roy, professeur de finance à HEC Montréal. Cela peut peut-être fonctionner, mais c'est une méthode extrêmement longue et complexe.»

C'est d'ailleurs ce problème qui a refroidi l'administration Bush l'automne dernier, qui a préféré investir dans les banques. «Je serais tenté de vous dire que cela a fonctionné parce qu'aucune banque n'a été liquidée depuis l'automne!» note Jean Roy.

Plus fondamentalement, une banque-dépotoir récompense les banques qui ont agi de façon téméraire, puisque toutes les pertes sont nationalisées. Des institutions financières casse-cou pourraient ainsi se retrouver à égalité avec des banques qui ont été plus sages.

Un tel dénouement est d'autant plus troublant que Wall Street ne semble pas avoir tiré les leçons de la dernière année, à en juger les primes versées en fin d'année. Même en baisse, elles ont totalisé 18,4 milliards de dollars, ce qui a scandalisé le président Barack Obama.

Le pire, c'est que les institutions financières ne se remettront peut-être pas à prêter même si l'État les déleste de leurs actifs douteux, juge Jagdish Handa. Dans un contexte où les prix des valeurs ne cessent de chuter, les banques pourraient être tout aussi réticentes à prêter, pour maintenir leurs ratios de capitalisation, qui sont fixés par la loi.

À ce compte-là, aussi bien prendre une participation significative dans le capital des banques, comme la Grande-Bretagne l'a fait (un peu malgré elle) avec la Royal Bank of Scotland. C'est la meilleure façon d'influer sur les normes de prêts et de rémunération.

À ceux qui répugnent de voir les gouvernements contrôler des banques, même à court terme, il y a d'autres avenues. Ainsi, une société d'État pourrait assurer les actifs des banques. «Ce n'est pas le gouvernement qui reste pris avec des actifs douteux, dit le professeur Handa. Et pour les banques, il y a au moins une certitude quant au minimum d'argent qu'ils récupéreront et au maximum qu'ils perdront.» C'est ce système que privilégie actuellement l'Allemagne.

Pour toutes ces raisons, la banque-dépotoir n'est pas la solution idéale à la crise.