Au bord du précipice. C'est ainsi que les analystes du secteur pharmaceutique aiment à décrire la société Pfizer, qui est devenue célèbre dans le grand public avec une certaine pilule bleue.

En apparence, la vie est aussi belle pour Pfizer qu'elle l'est pour les hommes qui sifflent et qui chantonnent dans les publicités de Viagra. En apparence seulement. Car le précipice est tout à côté, dès la fin de 2011.

 

C'est à ce moment que le brevet du Lipitor, un médicament qui sert à abaisser le taux de cholestérol dans le sang, vient à échéance. Et que la société indienne Ranbaxy et les autres fabricants de médicaments génériques se rueront sur ce marché lucratif.

Or, le Lipitor représente plus du quart, soit 26% des ventes de Pfizer, qui se sont élevées à près de 36 milliards US pour les neuf premiers mois de 2008. Ainsi, certains analystes s'attendent à ce que les revenus du numéro un mondial de la pilule chutent de plus de 15% en 2012.

Pfizer se devait donc de faire un grand geste. Dans les circonstances, son acquisition est plutôt bien choisie. Avec Wyeth, la troisième biotech derrière Amgen et Genentech, Pfizer diversifie de façon significative ses revenus. Ainsi, aucun médicament ne représentera plus de 10% de ses ventes à compter de 2012.

Mieux, Pfizer fait un bond de géant dans le secteur des vaccins, où la société new-yorkaise pourra prétendre au quatrième rang mondial. Or, les vaccins assurent des rentrées de fonds stables, ce qui contrebalancera les revenus en dents de scie de Pfizer.

Dans la même veine, Wyeth produit aussi des médicaments en vente libre très connus comme les Advil, Robitussin et Centrum, qui apaiseront un peu le mal de tête de Pfizer.

«Je ne peux pas imaginer meilleure transaction», s'est enthousiasmé Jeffrey Kindler, président du conseil et chef de la direction de Pfizer, lors d'une téléconférence animée depuis New York, hier.

Mais Wyeth n'est pas un remède miracle.

Avec Wyeth, Pfizer pourra seulement maintenir ses profits à leur niveau de 2008 jusqu'en 2012. On ne parle donc pas ici d'une croissance fulgurante.

Pis, Pfizer ne règle pas son problème plus fondamental, soit les molécules prometteuses qui se raréfient. Les sociétés pharmaceutiques ont de plus en plus de mal à frapper des courts circuits et à produire des «blockbusters», dans le jargon, des médicaments qui améliorent sensiblement la qualité de vie d'un grand nombre de malades. Pourtant, ce n'est pas faute d'y consacrer des fonds en recherche et en développement.

Dans ses dernières prévisions de marché, la firme de recherche IMS Health s'attend à ce que seulement 25 ou 30 nouveaux médicaments arrivent dans les cabinets des pharmacies en 2009, flirtant ainsi avec un creux historique. Qui plus est, il s'agit de médicaments très spécialisés avec un potentiel de marché relativement limité, précise cette firme du Connecticut. Du lot, il n'y aurait que quatre ou cinq médicaments qui ont le potentiel de devenir un «blockbuster».

Autre difficulté, les administrations publiques et les assureurs, pris à la gorge par l'explosion des coûts de la santé, accentuent les pressions à la baisse sur les prix. Ils rechignent aussi à inclure les nouveaux médicaments sur la liste des traitements autorisés pour fin de remboursement.

C'est sans parler de la difficulté d'intégrer deux entreprises. Avec un chiffre d'affaires combiné de 71,3 milliards US et un effectif de 129 500 employés, la nouvelle Pfizer distancie ses rivales et consolide sa domination de l'industrie.

Intégrer deux entreprises de cette envergure est un exercice ardu dans les meilleures circonstances. Ce le sera encore plus cette fois-ci, alors que le secteur pharmaceutique traverse une crise.

Pfizer espère dégager des économies d'échelle de 4 milliards US d'ici trois ans. Or, les deux entreprises avaient déjà entrepris de couper dans le «gras». Ces compressions s'ajouteront ainsi aux économies de 5,2 milliards US déjà promises par Wyeth et Pfizer.

Dans le contexte, le défi sera de conserver le moral des chercheurs, la clé de voûte des sociétés pharmaceutiques. Or, Pfizer a connu des ratés, de son propre aveu, avec ses intégrations passées.

«Nous avons beaucoup appris de nos acquisitions passées qui ont provoqué des remous et démoralisé les troupes, dit Jeffrey Kindler. Cette fois-ci, nos objectifs sont beaucoup plus clairs, de sorte qu'il sera plus facile de faire monter les scientifiques à bord.»

En septembre, Pfizer a décidé de s'attaquer en priorité à six grandes familles de maladies ou de maux: l'Alzheimer, le cancer, la schizophrénie, la douleur, l'inflammation, le diabète.

Avec Wyeth, la société pharmaceutique n'a toutefois pas la certitude d'avoir trouvé le remède à son propre mal.

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Si cette transaction d'une valeur estimée à 68 milliards de dollars se concrétise, l'achat de Wyeth restera comme la plus grande transaction dans l'industrie pharmaceutique depuis 2000. C'est cette année-là que Glaxo Wellcome a mis la main sur SmithKline Beechman, pour la somme de 76 milliards US.

Qui a dit que le party des fusions et acquisitions est terminé? Qui a dit que les banquiers refusent de prêter de l'argent?

Cinq institutions financières réunies en consortium prêtent, à parts égales, une somme de 22,5 milliards US. Bank of America, Barclays, Citigroup, Goldman Sachs et JPMorgan Chase n'ont pourtant pas été épargnées par la crise financière.

«C'est bon de voir les banques revenir à leur métier, qui est de prêter de l'argent!» a noté Jeffrey Kindler.

Mais il faut voir qu'il s'agit d'un prêt relais qui devra être remplacé d'ici un an par un financement permanent. Bref, c'est à ce moment qu'on saura si la crise du crédit est véritablement terminée.

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