Cela faisait 11 mois que le comité mis sur pied par le gouvernement fédéral pour examiner la réglementation des valeurs mobilières au pays consultait et délibérait.

Cela faisait 11 mois que le comité mis sur pied par le gouvernement fédéral pour examiner la réglementation des valeurs mobilières au pays consultait et délibérait.

Le hasard a voulu que ce groupe d'experts présidé par Tom Hockin, ancien ministre conservateur sous Brian Mulroney, publie ses conclusions à la veille de la rencontre des premiers ministres convoquée à Ottawa par Stephen Harper.

La recommandation d'instituer une commission des valeurs mobilières nationale était éminemment prévisible, pour ne pas dire téléguidée par le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty. L'ancien argentier de l'Ontario fait une fixation sur la création d'une commission unique. Voilà des années que la moindre fraude ou crise est imputée à notre «système balkanisé» qui souffrirait de l'absence d'un régulateur national -ce qui est mal connaître et les Balkans et le Canada, soit dit en passant.

Que cette commission unique doive être décentralisée -à l'évidence pour ménager les susceptibilités- ne fait qu'ajouter une pointe d'absurdité aux conclusions de ce groupe d'experts qui, sous des dehors accommodants, prêche véritablement la ligne dure.

Les provinces récalcitrantes, comme le Québec, l'Alberta et, dans une moindre mesure, la Colombie-Britannique, n'auraient pas à adhérer au nouveau système, soit. Mais après une «période raisonnable» d'une durée indéfinie, le gouvernement fédéral permettrait aux entreprises émettrices de se soustraire à la réglementation provinciale, ce qui reviendrait à saper complètement l'autorité des provinces.

Bref, le gouvernement Harper voudrait déclencher la guerre avec le Québec qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Que le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, endosse aussi promptement les conclusions de ce groupe démontre à quel point son gouvernement est rapidement retombé dans l'ornière de l'arrogance.

Cette provocation va empoisonner les discussions de vendredi qui sont censées porter sur la relance de l'économie canadienne. Pis, une bataille juridique aux accents constitutionnels paraît maintenant inéluctable, alors que le groupe d'experts du gouvernement conteste la juridiction historique des provinces dans le commerce des valeurs mobilières sur la foi d'un nouvel avis juridique.

Je ne suis pas constitutionnaliste et je n'ai aucune opinion éclairée sur ce sujet. Je sais, en revanche, que le Canada a bien d'autres chats à fouetter qu'une nouvelle querelle constitutionnelle.

Les tenants d'une commission unique formulent beaucoup de griefs à l'endroit du système actuel où chaque province réglemente ses marchés. Mais sans simplifier à outrance, ces critiques se résument en deux grandes doléances.

Ce système serait lent, lourd et coûteux, surtout pour les PME qui n'ont pas les ressources et l'expertise des grandes entreprises -et elles sont nombreuses au pays, ce qui est une particularité du Canada.

Deuxièmement, la multiplication des autorités ferait en sorte que les petits investisseurs sont moins bien protégés. Cette protection inadéquate nuit à la réputation du Canada comme place financière, de sorte que le pays a plus de mal à attirer les capitaux.

Ces deux critiques résistent mal, toutefois, à l'analyse. Il est vrai que le Canada a longtemps souffert de la multiplication des juridictions. Mais ces tracasseries, qui forçaient les entreprises à remplir de la paperasse dans toutes les provinces où elles souhaitaient faire appel à l'épargne des investisseurs, ont été en grande partie résolues par le nouveau système de passeport.

En vertu de ce système, une entreprise qui veut émettre des actions à la grandeur du pays n'a plus à cogner à toutes les portes. Depuis que la réglementation a été harmonisée, la commission de sa province fait office de guichet unique. De la même façon, un courtier a seulement à s'inscrire dans sa province pour être reconnu ailleurs, sauf en Ontario. En effet, après avoir promu ce système, l'Ontario a refusé d'y adhérer, au grand dam des autres provinces qui ont crié au sabotage.

Tout n'est pas parfait, certes, et on peut encore déplorer certaines lenteurs dans ce système naissant. Mais c'est loin d'être la catastrophe que décrivent les opposants du système actuel.

Surtout, ce système n'est pas plus coûteux, au contraire, ont conclu les chercheurs Jean-Marc Suret et Céline Carpentier dans une étude publiée en 2007. Le coût moyen d'une émission au Canada, de 33 600$, est largement inférieur à celui d'une émission aux États-Unis (324 000$) ou en Australie (123 000$).

Quant à la protection des investisseurs, il serait drôlement hasardeux de conclure qu'elle est mieux assurée par une commission unique.

La SecuritiesandExchange Commission (SEC) des États-Unis est souvent présentée comme modèle, mais il faut voir que la SEC n'intente que le dixième des poursuites en valeurs mobilières au sud de la frontière. Ainsi, ce n'est pas la SEC qui a poursuivi Conrad Black au nom des actionnaires floués de Hollinger International, mais bien les procureurs fédéraux du district nord de l'Illinois. Et puis, comme l'affaire Bernard Madoff l'a démontré avec retentissement, ce n'est pas parce qu'un organisme a une portée nationale qu'il est plus vigilant.

L'inverse est tout aussi vrai. L'Autorité des marchés financiers du Québec, qui a longtemps été nonchalante, est sensiblement plus zélée depuis qu'elle a été déjouée de façon humiliante par Vincent Lacroix, de Norbourg.

En fait, la protection des investisseurs tient à une foule de facteurs qui dépassent de loin la seule structure de la réglementation. Il y a les ressources dont disposent les policiers, l'importance qui est accordée aux crimes économiques par les procureurs, la sévérité avec laquelle les juges considèrent ces infractions, etc.

Laisser entendre qu'une commission nationale réglerait tous les problèmes est trompeur.

Le système actuel n'est pas parfait, certes. Mais il n'est pas cassé. Aussi, pour reprendre un proverbe chéri des anglophones, rien ne sert d'essayer de le démonter de A à Z pour le réparer.