C'est une entreprise fantastique, parce qu'elle est ronde. C'est un service public qui a une super mission, juste une belle taille- 1200 employés- comme une grosse PME, mais qui a les moyens financiers de ses ambitions. Tu es sur la place publique, tu es réglementée, tu travailles avec des syndicats, tu es coté en Bourse et tu négocies avec les gouvernements. C'est formidable, tu touches à toutes les facettes. C'est riche comme entreprise. C'est ben trippant. "

C'est une entreprise fantastique, parce qu'elle est ronde. C'est un service public qui a une super mission, juste une belle taille- 1200 employés- comme une grosse PME, mais qui a les moyens financiers de ses ambitions. Tu es sur la place publique, tu es réglementée, tu travailles avec des syndicats, tu es coté en Bourse et tu négocies avec les gouvernements. C'est formidable, tu touches à toutes les facettes. C'est riche comme entreprise. C'est ben trippant. "

Plutôt rare que l'on décrive une entreprise en la qualifiant de ronde et de trippante. C'est peut-être parce que la personne qui en parle est une femme. Une femme intense qui se livre sans retenue, ce qui n'est pas la norme dans le milieu des affaires. Cette femme, c'est Sophie Brochu et l'entreprise qu'elle décrit avec tant d'enthousiasme est celle dont elle prendra les commandes en février prochain. À 43 ans, elle vient d'être nommée présidente et chef de la direction de Gaz Métro, un des plus importants distributeurs de gaz naturel au Canada. Du coup, Sophie Brochu se hisse au sein du club très restreint des femmes PDG de grandes entreprises.

" C'est vrai qu'il y a une certaine curiosité du fait qu'une femme puisse arriver là. C'est drôle, parce que plusieurs pensent que je dois être dure, que j'ai dû jouer dur pour arriver là. Pas du tout. Je suis plutôt soft et les choses me sont arrivées assez facilement. Ça, je le dois aux femmes qui m'ont précédée, aux pionnières, celles qui nous ont ouvert le chemin sur le marché du travail. Je le sais et je les remercie. "

Sophie Brochu n'a rien de l'image qu'on peut se faire de la femme de carrière un peu revêche et ambitieuse. Elle est au contraire chaleureuse et plutôt drôle. Sa perception du rôle que doit jouer une entreprise est très contemporaine. " Pour nous autres, être profitable, se soucier de l'environnement et être socialement responsable, c'est quelque chose qui est tout à fait possible. Ça, il y a un scepticisme dans la population. Ils regardent les entreprises et se disent: eux autres leur job dans la vie c'est de faire de l'argent, y vont se soucier de l'environnement s'ils sont contraints par les lois. C'est pas vrai. Il y a de plus en plus d'entreprises qui se préoccupent de l'environnement. Gaz Métro est très consciente que les ressources ne sont pas illimitées et qu'il faut les utiliser très judicieusement. C'est dans nos gènes. "

" Je suis tombée en amour "

C'est pendant ses études en économie à l'Université Laval, dans le cadre d'un cours donné par Antoine Ayoub, spécialiste du pétrole, que Sophie Brochu se découvre un intérêt pour l'énergie.

" L'énergie, moi je suis tombée en amour avec ça. Parce que c'est le centre de l'économie. Peu importe que tu le regardes historiquement, présentement, dans le futur, tout tourne autour de l'énergie. C'est un milieu fascinant, qui regroupe toujours des considérations gouvernementales, des considérations sociales, des considérations individuelles. On ne fait pas la guerre pour le café, hein. Les pays vont en guerre pour le pétrole. "

Elle commence sa carrière en tant qu'analyste financier chez SOQUIP, la Société québécoise d'initiatives pétrolières, en 1987. Elle y restera 10 ans. En 1997, elle se joint à Gaz Métro. Son mandat est alors de développer la clientèle résidentielle. " On a changé l'image, on a changé le nom. Le gaz c'est cool, c'est de loin le combustible fossile le plus propre. Il y a un enthousiasme pour le gaz. "

Si l'enthousiasme est tel qu'elle le prétend, comment explique-t-elle alors le tollé qu'a suscité le Suroît, un projet de centrale électrique alimentée au gaz naturel?

" Les gens qui en ont eu contre le Suroît, n'en avaient pas contre le gaz naturel, ils en avaient contre Hydro-Québec. Ils se demandaient pourquoi tout à coup il fallait faire ça? Le plus grand wake up call du Suroît, ce n'était pas le gaz naturel, c'était de se rendre compte que l'électricité, ça ne nous sortait plus par les oreilles, qu'il fallait en acheter, qu'on était un importateur d'électricité. "

La richesse

Je n'avais jamais rencontré Sophie Brochu auparavant. Ce qui frappe chez elle, c'est la conviction avec laquelle elle défend son point de vue. En abordant la question de la difficulté de vendre du gaz dans une société habituée à l'électricité, j'ai eu droit à une tirade passionnée de sa vision de l'avenir économique du Québec.

" À partir du moment où, comme société, on va se donner le droit d'être riche, mon dieu qu'on va en faire des choses. Ce n'est pas péché de faire des sous. Ce sont les sociétés riches qui peuvent se préoccuper d'environnement, qui peuvent s'occuper des familles à revenus modestes, qui peuvent procurer un système de santé, donner un bon système d'éducation. Alors, pour moi, le plan d'affaires du Québec est simple. On a une ressource qui s'appelle hydroélectricité, il faut la valoriser et il faut l'exporter. Il faut la vendre au prix ce que ça vaut. Quand on peut le vendre en Ontario, aux États-Unis, sur des marchés qui utilisent du charbon et du mazout pour produire leur électricité, à la limite, c'est notre devoir de société de valoriser cette forme-là pour l'exporter. Parce que les gaz à effet de serre, c'est partout sur la planète. Je ne vendrais pas du gaz naturel et je tiendrais le même discours. Pour moi, c'est très clair, on utilise notre électricité à mauvais escient. On se tire dans le pied. L'électricité c'est pour faire tourner des moteurs, pas pour chauffer des maisons. Le gaz et l'électricité sont complémentaires. Il s'agit d'utiliser la bonne énergie à la bonne place. "

Elle répond avec la même fougue lorsque je lui fais remarquer que son plan d'affaires risque de faire mal aux gens à faibles revenus. " Ce n'est pas parce qu'on veut s'assurer que les pauvres pourront payer leur électricité qu'il faut qu'elle ne soit pas chère pour tout le monde. Parce que, ce faisant, on subventionne même les riches de Westmount ", répond-elle. " Une fois la richesse générée, le gouvernement a le devoir de la redistribuer aux moins nantis. "

L'entrevue s'est prolongée au-delà de l'heure prévue. La conversation a glissé sur sa vie personnelle et a pris un tout autre ton quand on a abordé la question des enfants qu'elle n'a pas eus. Pas parce qu'elle voulait se consacrer uniquement à sa carrière, mais parce qu'elle ne pouvait pas en avoir. C'est ce qu'elle appelle son pince-coeur, sa tristesse. Elle est par ailleurs très consciente que si elle avait eu des enfants, elle ne serait sans doute pas PDG aujourd'hui. " Je dis toujours que si j'avais eu des enfants, je ne ferais pas ce que je fais aujourd'hui, ça c'est clair. "

Elle compense son manque en s'occupant des enfants de l'école Hochelaga, une école primaire du quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal où Gaz Métro a son siège social. C'est sa façon à elle de redonner à la génération suivante.

Devenir présidente et chef de la direction de Gaz Métro ne faisait pas partie de ses plans. Elle a d'ailleurs été un peu surprise quand on l'a pressentie. Elle a maintenant bien hâte d'appliquer à l'ensemble de l'entreprise sa vision de la gestion.

" Gérer, c'est atteindre des objectifs à travers d'autres. À partir du moment où la vision est énoncée, ton job comme gestionnaire, c'est de stimuler les gens à atteindre cet objectif-là en leur donnant les moyens pour le faire. C'est d'insuffler la passion que t'as, c'est juste ça. "