«L'annonce de notre mort est prématurée», a laissé tomber Charles Layton, président du grand distributeur canadien Alliance Films.

«L'annonce de notre mort est prématurée», a laissé tomber Charles Layton, président du grand distributeur canadien Alliance Films.

Difficile de savoir si ce New-Yorkais, qui était de passage aux bureaux d'Alliance à Montréal hier pour une rencontre informelle, était sérieux ou blaguait. Mais les intentions de ce routier du cinéma, qui a fait carrière chez Miramax et Weinstein avant que la banque d'affaires Goldman Sachs ne lui confie la direction d'Alliance il y a un an, sont claires. Alliance Films lance sa contre-offensive.

Ce distributeur a dévoilé hier trois partenariats qui lui apporteront une douzaine de films en plus par année -le nerf de la guerre en distribution. Alliance distribuera ainsi des oeuvres de Relativity Media, de Grosvenor Park et de Freestyle Releasing au Canada et au Royaume-Uni (Relativity seulement).

Alliance étire aussi en 2009 son contrat de distribution avec le studio New Line, qui devait prendre fin cette année à la suite d'une réorganisation chez Warner Bros., société mère de New Line.

Visiblement, Alliance Films cherche à faire oublier une année 2007-2008 qui, en affaires, ferait un bon scénario de film d'horreur. Perte des films New Line. Décote des agences de notation de crédit Standard&Poor's et Moody's, qui craignaient en avril que ce distributeur endetté soit incapable de faire face à ses obligations financières. Difficulté à racheter des catalogues et des distributeurs indépendants.

L'année a été d'autant plus difficile que, pendant ce temps, Entertainment One est apparu comme un rival pouvant détrôner Alliance Films comme premier distributeur au pays. Depuis un an, cette société enfile acquisition sur acquisition au Canada et en Europe: Films Séville, RCV Entertainment, Maximum Films, etc. Dirigée par une flopée d'anciens dirigeants d'Alliance, dont son ex-président Patrice Théroux, Entertainment One songe même à s'inscrire à la Bourse de Toronto ou de Londres pour financer sa croissance rapide. (Son titre s'échange déjà sur le marché alternatif de Londres, AIM.)

Alliance n'entend pas rester les bras croisés et compte défendre bec et ongles ce marché que le distributeur prétend toujours dominer avec une part de 14,5% au Canada (recettes au box-office). (Il est impossible de vérifier les résultats financiers d'Alliance de façon indépendante, ce distributeur de films ayant été privatisé il y a un an.)

«L'absence de concurrence au Canada, c'était une anomalie délicieuse», philosophe Charles Layton. Le grand patron d'Alliance Films minimise ainsi la difficulté d'acquérir les droits des films dans une industrie moins morcelée avec une concurrence plus combative.

Il n'est pas certain qu'Alliance ait fait mouche hier, lors de sa rencontre informelle avec des journalistes montréalais.

Il est pour le moins ironique qu'Alliance Films s'enorgueillisse de la prolongation de son contrat avec New Line. L'entreprise a tout fait ces derniers mois pour minimiser la perte de ce contrat, en affirmant que les films les plus récents de New Line, loin de rééditer le succès phénoménal de la trilogie du Seigneur des anneaux, étaient des flops sur lesquels Alliance avait claqué une fortune.

«C'est vrai que 2006 et 2007 ont été de très mauvaises années, a justifié Charles Layton. Mais New Line s'est repris, particulièrement cet été, avec des films à succès tels que Sex and the City.»

Par ailleurs, cette rencontre se doublait d'une visite du «nouveau siège social» d'Alliance à Montréal. On se rappelle que la Société générale de financement (SGF) a fait du déménagement du siège social de Toronto une condition de son investissement de 100 millions dans Alliance.

La SGF contrôle l'entreprise en principe: elle détient 38,5% du capital, mais 51% des droits de vote de l'entreprise, le reste étant entre les mains de Goldman Sachs. Ainsi, Alliance respecte (ou contourne, c'est selon) la loi canadienne qui limite la propriété étrangère dans la distribution de films.

Les bureaux d'Alliance, rue Saint-Antoine, comptent près de 80 employés, le double d'il y a un an. En soi, c'est intéressant. Mais ce sont des employés de la comptabilité et des ressources humaines pour l'essentiel, ce qui fait de Montréal un centre administratif pour l'essentiel.

Victor Loewy, l'homme qui a bâti le succès d'Alliance, n'entend pas revenir à Montréal, la ville où ce Roumain de naissance a émigré à 18 ans. Pour sa part, Charles Layton fait la navette entre New York, Montréal et Toronto. Ainsi, à l'exception de la filiale québécoise Alliance Vivafilm, dirigée par Patrick Roy, le centre décisionnel paraît toujours aussi éloigné de Montréal.

La SGF n'a pas uniquement investi dans Alliance pour attirer un siège social. La Société l'a fait parce qu'elle croyait aux perspectives de croissance du distributeur canadien. Ces perspectives semblent toutefois limitées au Canada, où Alliance peine à conserver sa place. L'entreprise doit percer de nouveaux marchés, notamment l'Europe, où l'industrie de la distribution reste morcelée.

Alliance ne cache pas qu'elle rêve de mettre la main sur TFM, filiale de distribution de films en salle de TF1, avec un catalogue de quelque 600 longs métrages, dont La vie en Rose. Il s'agit du premier distributeur indépendant de France, avec un chiffre d'affaires de 104 millions en 2007, rapporte Le Figaro Économie. Pour ce faire, Alliance fait équipe avec son partenaire en Europe, le producteur tunisien Tarak Ben Ammar, qui a ses entrées chez TF1.

Comment Alliance financerait-elle cette acquisition, elle qui est déjà lourdement endettée? «Nos actionnaires (Goldman Sachs et SGF) sont très impliqués dans nos pourparlers (avec TFM) et le financement est au centre des discussions», se borne à dire Charles Layton.

Alliance n'est toutefois pas seule en lice, comme l'a révélé le journal français Les Échos. La société rivalise entre autres avec Orange, filiale de France Télécom. Quant à Entertainment One, elle ne rôderait pas très loin...